Extrait Sport & Vie

n o 186 6 Au tout début des compétitions de judo, les catégories de poids n’existaient pas. Mais cela n’a pas duré puisqu’elles ont été instaurées dès le début des années 60. N’est-ce pas la preuve qu’Audiard avait tout de même un peu raison? Non, je ne crois pas. Ces catégories de poids ont été créées parce que le judo devait s’adapter aux normes sportives internationales, notamment pour être reconnu comme discipline olympique. Mais le titre le plus prestigieux est resté pendant longtemps celui des compéti- tions «toutes catégories» , c’est-à-dire sans contrainte de poids et, dans ces combats, il arrivait assez souvent que des poids moyens battent des poids lourds. Ainsi, le Français Jean-Paul Coche, que j’admirais beaucoup, est souvent venu à bout d’ad- versaires auxquels il rendait dix, vingt et parfois même trente kilos! En 2008, on a tout de même laissé tom- ber le titre «toutes catégories» dont la hiérarchie se confondait avec celles des lourds. Là encore, je ne crois pas que la décision ait été motivée par des raisons propres à la discipline. Une fois n’est pas coutume, le judo a dû copier les autres sports de com- bat comme la boxe qui, pour des raisons de sécurité, imposent un strict respect des catégories. En judo, c’est moins nécessaire et on peut mélanger sans souci les mor- phologies. Aux entraînements, on adore cela! On combat des adversaires plus lourds ou plus légers que soi et on s’aper- çoit alors que la technique permet souvent de compenser l’écart de force. Bien sûr, si vous combinez le gabarit et la technique comme le fait Teddy Riner, vous devenez quasi imbattable! avait répondu: «je savais qu’il allait heurter violemment le sol. Alors j’ai retenu sa tête.» Voilà l’histoire. Elle est bien référencée. D’ailleurs, comme je craignais moi aussi d’abonder seulement dans le sens de la légende en écrivant ce livre, j’ai fait relire ce passage à des exégètes de la vie de Kano qui m’ont confirmé son authenticité. Et si malgré tout, cette histoire était fausse? (Silence) Si elle était fausse, je vous répon- drais comme Blaise Cendrars, l’auteur d’un superbe poème intitulé La Prose du Transsibérien . Quand on lui avait fait remarquer qu’il n’avait jamais pris le Transsibérien, l’auteur avait rétorqué «qu’importe, puisque je l’ai fait prendre à des milliers de lecteurs». «Quand les types de 130 kilos disent cer- taines choses, les types de 60 kilos les écoutent.» Que vous inspire cette phrase de Michel Audiard? J’adore les dialogues de Michel Audiard. J’adore cette phrase que dit Jean-Paul Belmondo en 1964 dans Cent mille dollars au soleil de Henri Verneuil. Il est au volant de son camion et assène ça comme une évidence. Pourtant, ce n’en est pas une. Ceux qui pratiquent le judo savent bien que les grands ne l’emportent pas toujours sur les petits, ni les gros sur les maigres. Il arrive aussi que des petits gabarits s’im- posent parce qu’ils ont su détourner à leur avantage la force de leur adversaire. Kano illustre parfaitement ce principe. Il faisait clairement partie des types de 60 kilos qui sont censés se taire face aux malabars. Mais il a réussi, à force de travail et d’étude, à se hisser parmi les meilleurs combattants de sa génération. Dans votre livre, vous suggérez une ren- contre possible avec Arthur Rimbaud. En recoupant les sources, j’ai découvert en effet que Jigoro Kano et Arthur Rimbaud se sont trouvés tous les deux au même moment à Aden au Yémen. Les choses se déroulent précisément au début de l’an 1891. L’un retourne au Japon après un voyage en Europe, l’autre s’apprêtait à partir pour Marseille où il finira par mou- rir. Et puis, cela va peut-être vous paraître bizarre mais en regardant attentivement les clichés de l’époque, oui, je trouve qu’ils se ressemblent. Certes, Rimbaud a six ans de plus que Kano et souffrait déjà de cette maladie rare des articulations qu’est la synovite villonodulaire, et qui allait bien- tôt l’emporter. De son côté, Jigoro Kano était âgé de 31 ans, donc en pleine force de l’âge à l’aube de son extraordinaire car- rière. Ce sont des destins que tout oppose. Je trouve pourtant qu’ils partagent une même fragilité. Rimbaud faisait 1,77 mètre et en 1891, vous l’avez dit, il était déjà en très mau- vaise santé. Alors que Jigoro Kano était beaucoup plus petit. Certains auteurs disent qu’il mesurait 1,50 mètre à peine et que les techniques de combat qu’il a dévelop- pées visaient précisément à compenser sa petite taille. Ce qui est sûr, c’est qu’il testait d’abord lui-même tout ce qu’il enseignait. Et avec succès, semble-t-il. Les chroniqueurs de son temps disent qu’il était capable de faire face à n’importe quel adversaire. Une anecdote édifiante relate un combat qui eut précisément lieu sur le bateau qui le ramenait du Yémen au Japon. Kano voyageait en compagnie d’un robuste officier du tsar de Russie qui ne voulait rien croire de tout ce qu’on disait à propos de ce mystérieux passager japonais et de sa nouvelle façon de com- battre, appelée judo. Il a donc défié Kano pour un combat singulier, persuadé qu’il en sortirait facilement vainqueur. A son grand étonnement, il s’est vite retrouvé au sol sur un mouvement d’épaule de son adversaire. L’histoire veut que l’officier se soit finalement montré beau joueur et qu’ensuite les deux hommes aient même sympathisé, le grand et le petit. Comment peut-on être sûr qu’il ne s’agit pas d’une légende? Nous n’étions pas là pour vérifier, c’est cer- tain. Mais ce combat est raconté par plu- sieurs témoins, notamment par un Anglais qui avait remarqué que Jigoro Kano avait discrètement soutenu le Russe dans sa chute. Il le lui avait fait remarquer et Kano Au tournoi de Paris 2020, Kokoro Kageura met fin à l’incroyable série de Teddy Riner: 154 victoires d’affilée.

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