Extrait Sport & Vie

n o 186 7 IDÉES DE CHOC la part d’un nouvel adversaire le sort que l’on a soi-même fait subir à d’autres. La compétition est également une source de découvertes. Puis elle permet d’objectiver ses progrès. Cela donne du sens à tout le travail qu’on fait aux entraînements. Le sport sans compétition, cela me fait pen- ser à cette phrase de Maradona: «c’est comme danser un slow avec sa sœur». Ce sont tout de même deux approches très différentes. Lors des entraînements, on chute souvent de bonne grâce. C’est même une façon de rendre hommage aux mouvements de son partenaire. Jamais en compétition. Là, je suis d’accord. Jigoro Kanovoulait d’ailleurs qu’on établisse cette différence et c’est pourquoi il a distingué le «randori» , qu’on pratique à l’entraînement, du «shiai» qui est la forme compétitive du judo. Le randori , lui, est libre. On ne compte pas les points. De ce fait, on trouve effectivement un élément chorégraphique qui dis- paraît en compétition, le principe étant en somme de «faire briller les autres pour briller soi-même» . C’est très beau, je trouve! séduisants ne sont pas toujours ceux qui finissent avec les plus beaux palmarès. C’est lié à l’évolution dumonde, je suppose. De façon générale, notre société n’évolue pas vers plus de panache, plus de style ou plus de poésie. Malheureusement! Peut-on aimer le judo davantage comme outil pédagogique que comme sport de compétition? Je ne vois pas pourquoi on devrait absolu- ment opposer l’un et l’autre. Au contraire. On peut apprendre plein de choses grâce à la compétition. Comment rester humble après une victoire? Comment se relever d’une défaite? On comprend aussi beau- coup mieux les choses quand on subit de Que pensez-vous du judo moderne en tant que sport-spectacle? Il y a des moments de grâce quand on voit com- battre des champions d’exception comme le Japonais Shohei Ono, mais aussi d’in- terminables séances de «kumi kata» pas du tout télégéniques. On a alors l’impres- sion d’observer des chats se donner des coups de griffes. Il m’est arrivé de commenter des cham- pionnats de judo pour la chaîne L’Equipe et je suis d’accord avec vous, parfois, on s’ennuie. Je regrette en somme qu’à force de règlements, on ait dénaturé le judo en privilégiant des stratégies très défensives. Certes, on trouve encore des stylistes, des types qui ne se contentent pas de gagner mais veulent le faire avec panache en tentant des mouvements audacieux qui les exposent aux contres. Cependant, ils sont en minorité par rapport aux gagne-petit qui, eux, tablent sur l’accumulation de tout petits avantages pour remporter la victoire. C’est dommage mais les règlements ont tendance à les avantager ou plus exactement, on n’a pas trouvé le moyen de protéger le «beau» judo. Notez qu’on retrouve cela dans tous les sports. Les sportifs les plus UN SPORT DE LÉGENDE La Légende du grand judo met en scène un personnage fictif, Sugata Sanshiro, que l’on suit tout au long de son parcours initiatique dans un nouvel art martial, le judo, qu’il apprend sous la coupe de maître Yano. On ne doit pas chercher trop loin de qui s’est inspiré l’auteur du roman ori- ginal, Tsuneo Tomita. A bien des égards, son héros ressemble à son père Tsunejiro, tandis que Yano est un hommage à peine caché à Jigoro Kano, l’inventeur du judo. Lorsqu’au début des années quarante, Akira Kurosawa, alors âgé de 33 ans, se lance dans le projet d’adapter ce récit au cinéma, il n’a aucune expérience du métier de réalisateur. De plus, la Deuxième guerre mondiale fait rage. Dans le Japon de l’époque, on débloque plus facilement des crédits pour acheter du matériel militaire que pour tourner des films. A mesure que le conflit s’éternise, l’état-major japonais prend néanmoins conscience que les armes ne peuvent pas tout et qu’il faut aussi soigner le moral des troupes. On permet à Kurosawa de réaliser son film dans l’espoir qu’il contribuera à fouetter l’orgueil national. La Légende du grand judo ra- conte donc comment la discipline s’est lentement imposée à la fin du XIX e siècle dans une société japonaise qui s’ouvrait enfin au monde après des siècles de réclusion. Le judo incarnait alors la modernité, par opposition à l’obscurantisme du jiu-jitsu. Cet antagonisme prête à des scènes de com- bats grandioses dont Sanshiro sort chaque fois vainqueur – évidemment – même si le scénario s’affranchit à plusieurs reprises du manichéisme propre aux films d’action, notamment lors d’une digression sur l’absurdité du sacrifice de soi. Audacieux quand on sait qu’au même moment, l’armée japonaise s’apprêtait à envoyer ses avions-suicides sur les navires améri- cains. Rétrospectivement, on se demande d’ailleurs comment cette scène a résisté aux ciseaux de la censure alors que d’autres ont été manifestement coupées avant la diffusion en salle. Sorti en 1943, La Légende du grand judo connaît assez de succès pour qu’on demande à Kurosawa de lui donner une suite. C’est ainsi que naquit La Nouvelle légende du grand judo, deux années plus tard, sans susciter le même enthousiasme. Dans ce deuxième opus, Sanshiro continue de triompher de ses rivaux, un boxeur américain et deux frères venus du karaté, assurant ainsi la suprématie du judo sur toutes les autres méthodes de combat. Certaines scènes tournées dans de su- perbes paysages sont particulièrement réussies, notamment le dernier duel qui se déroule pieds nus sur les flancs enneigés d’une montagne balayée par les vents. Glaçant! Mais le scénario révèle trop peu de surprises pour captiver vraiment le public et surtout, pendant que le film fait le tour des salles, le Japon s’apprête à vivre l’expérience la plus traumatisante de son histoire, la double explosion des bombes atomiques américaines à Nagasaki et Hiroshima, face auxquelles même le judo ne peut rien! Shohei Ono, la légende du «beau» judo

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