Extrait Sport & Vie

n o 179 51 bloc presque tout le temps. Cet effort ressemble fortement à celui du contre- la-montre. Sans compter qu’au contraire des routiers, j’enchaînais ce type d’exer- cice toutes les semaines. Avec l’habi- tude, j’avais développé des qualités de résistance lactique qui font la différence en contre-la-montre. On supporte mieux la douleur, en somme. On peut le dire comme ça, oui. Deux ans après votre arrivée chez les professionnels, vous terminez neuvième de votre premier Tour de France. Comment l’expliquez-vous? Les adaptations ne sont pas si nom- breuses. Comme l’a encore démontré Bernal cet été, les vététistes ont un profil de rouleur-grimpeur. Il suffit de gagner un peu d’endurance, c’est tout. Sans perdre ses autres qualités si pos- sible. Même si je pense qu’une certaine régression est inévitable. Au fil des années, j’ai bien noté que je gagnais dans les étapes en ligne la facilité que j’avais perdue dans les chronos. Par la force des choses, le travail au seuil ou juste en-dessous a émoussé mes qualités d’explosivité et de résistance lactique. Qu’est-ce qui est plus fatigant: se bagarrer dans les cols du Tour avec Nibali comme en 2014 ou disputer l’or à Absalon aux Jeux? En matière de fatigue, je vous dirais que pédaler à fond pendant deux heures est plus usant que n’importe quoi. Sur la route, que l’on soit en plaine ou qu’on enchaîne les cols, cela ne change fina- lement pas grand-chose. On attend la dernière demi-heure pour lâcher ses ultimes cartouches. Finalement, c’est là où les deux disciplines se rap- prochent: dans un cas comme dans l’autre, on finit cramé! Propos recueillis par Olivier Beaufays (*) Jean-Christophe Péraud a rem- porté dix-neuf courses chez les amateurs. (**) Il est ingénieur en génie énergé- tique et environnement, option génie des procédés et environnement. (**) En 2009, en plus de devenir cham- pion de France, Jean-Christophe Péraud termine deuxième du Chrono des Nations-Les Herbiers-Vendée et dixième du championnat du monde du contre-la-montre. la bécane et tout cela me prenait des heures que je ne pouvais pas consacrer à l’entraînement ou à mes études (**). La route me permettait d’optimiser mon emploi du temps. En plus, elle se prê- tait mieux aux séances de fractionné puisque les conditions y sont forcément moins changeantes que sur les sentiers. On peut étalonner ses séances plus faci- lement et se jauger. Pourquoi les autres cyclistes sur route ne font pas pareil? Aujourd’hui, si. Tout le monde s’y est mis. Les programmes de préparation sont extrêmement précis. Davantage même que dans les autres disciplines de fond. Là, je vous parle du milieu des années 2000 donc une époque où, c’est vrai, l’en- traînement sur route était encore très archaïque. Par exemple, je m’entraînais parfois avec un groupe de coureurs qui comptait quelques professionnels, mais j’étais le seul à me servir d’un capteur de puissance pour le fractionné. Et ce n’est pas que ces coureurs étaient particuliè- rement rétrogrades. Non, les mœurs du cyclisme professionnel voulaient cela. Faute de véritables connaissances scien- tifiques, c’était simplement à celui qui empilerait le plus de kilomètres. Dès vos débuts chez les profession- nels, vous faites de bons résultats dans les contre-la-montre (***). Une explication? Elle est assez simple. C’est lié à la durée et à l’intensité d’effort. Aujourd’hui, les courses dépassent rarement une heure et demie, ce qui favorise les puncheurs, exactement comme en cyclocross. A mon époque, les épreuves de VTT étaient plus longues. Elles duraient deux heures au cours desquelles on était à encaisser la répétition des journées de course. En VTT, les épreuves se courent le dimanche, donc on a toute la semaine pour récupérer. Là, j’ai dû apprendre à remonter en selle dès le lendemain. Cela n’avait rien de naturel pour moi. D’autant qu’en VTT, on prend le soin de s’échauffer méticuleusement avant le départ. Sur la route, on démarre à froid. On compte sur les premières bornes pour se délier les muscles. Les premières semaines, j’étais plutôt désarçonné. Mais cela n’a pas duré. En mars 2010, je finis huitième de Paris-Nice. Je me suis dit: «c’est bon, j’ai trouvé le rythme». Il faut préciser tout de même que vous n’étiez pas non plus tout à fait novice sur route. C’est exact. Dès que mon calendrier me le permettait, je n’hésitais pas à concou- rir sur route avec les amateurs (*). Je m’entraînais d’ailleurs quasi exclusive- ment sur l’asphalte. C’est bizarre parce que beaucoup de coureurs font l’inverse. A leurs yeux, le VTT permet de mieux travailler en intensité et de réaliser en une heure ce qui prendrait trois fois plus de temps sur la route. Tout dépend d’où l’on habite. Pour trouver de bons ter- rains de jeu en VTT, moi, je devais souvent prendre ma voiture. Après la séance, il fallait aussi que je nettoie A la fin du Tour 2014, Péraud et Pinot terminent derrière Nibali. Deux Français sur la boîte. On n’avait plus vu cela depuis 30 ans! Sur la route, c’est tous les jours dimanche!

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