Extrait Sport & Vie

n o 170 23 DOSSIER Musikus!» On a compris que, dans son esprit, le terme Musikus englobe tous ceux qui, comme lui, vivent la musique et qui la comprennent comme on le ferait d’une langue étrangère. Eh bien, chez les sportifs aussi, on trouve des différences de ce type. Certains recherchent l’apaisement par le dialogue. D’autres préfèrent le silence. Certains veulent tout ana- lyser. D’autres font confiance à leur intuition du moment. Dans le film sur le parcours de l’équipe de France vic- torieuse lors de la Coupe du monde 1998, Philippe Bergeroo rapporte une anecdote très intéressante sur le com- portement de Fabien Barthez avant la séance de tirs au but en quart de finale contre l’Italie (7): «nous avions des fiches sur les tous les joueurs italiens et l’endroit où préférentiellement ils tiraient leurs penaltys.Onavait quelquesminutes pour briefer Fabien. Il nous a envoyés paître. Il préférait agir au feeling. Deux ans de travail pour rien!» On se rappelle qu’au bout du compte la France est passée au tour suivant après qu’Alber- tini a raté son tir… bloqué par Fabien Barthez. Bref l’entraîneur doit com- poser avec les exigences de soin très différentes de ses jeunes pousses. Le jardinier aussi. Poursuivons l’ana- logie avec un autre point commun qui concerne cette fois-ci la relation qui existe entre travail et résultat. commencez par faire un pot» conseille le philosophe Alain dans l’une de ces citations dont le livre de Francis Distinguin regorge et qui donne l’en- vie de s’arrêter à chaque page pour y réfléchir un peu. Puis l’entraîneur comme le jardinier sont tributaires des graines dont ils disposent. Pour le premier, il ne sera par exemple pas possible de transformer un hortensia en rosier, même avec les meilleurs bouturages du monde. En revanche, il peut aider àproduiredebeauxhorten- sias ou de beaux rosiers. Et il en va de même pour le second qui doit aider à révéler les potentialités des individus dont il a la charge et œuvrer pour leur épanouissement. Bien sûr ce travail est extrêmement délicat tellement les profils divergent. Encore un extrait du livre de Francis Distinguin? Cette fois, c’est Mozart qui écrit à son père en 1777 une lettre où il pointe préci- sément cette multiplicité des appar- tenances sensitives et ses propres difficultés à s’exprimer hors de la musique . «Papa Chéri, je ne peux écrire poétiquement. Je ne suis pas poète. Je ne peux manier les formules artistiquement pour qu’elles fassent jouer les ombres et les lumières, je ne suis pas peintre. Je ne puis pas non plus exprimer mes senti- ments et mes pensées par des gestes et par la pantomime, je ne suis pas danseur. Mais je le peux grâce aux sons. Je suis Où est passé le jardinier? En passant tous les métiers en revue, on en a tout de même finalement trouvé un qui colle presque idéale- ment à la mission de l’entraîneur: celui du jardinier! Pourquoi lui? Parce qu’un jardinier doit tenir compte du rythme des saisons et donc soumettre cha- cune de ses décisions aux résultats escomptés à court et à long termes. Qu’il s’agisse de plantation, de taille, d’entraînement ou de sélection, il doit chaquefoisanticiperl’œuvredutemps, ce qui n’est le cas d’aucun des métiers précités. Deuxième argument. Il y a des bons et des mauvais jardiniers. De bons et de mauvais entraîneurs. Mais lorsqu’il arrive que le résultat soit à la hauteur des attentes, on oublie le tra- vail fourni pour s’émerveiller, dans le premier cas, de la beauté de la nature ou dans l’autre, du talent des athlètes sans qu’apparaisse trop ostensible- ment la patte de celui qui a permis leur éclosion. Enfin, dans ces deux métiers, il faut également faire preuve d’hu- milité et de prudence. L’entraîneur procède par tâtonnements en faisant fonctionner les «pattes arachnéennes du soupçon» (NB: l’expression est de Mallarmé). Dans ces cas-là, il vaut mieux commencer son chemin au bas de l’échelle en se fixant des objectifs très modestes. « Pour faire un beau pot, Tous les talents sont dans la nature.

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