Extrait L'Objet d'Art

8 L’OBJET D’ART hors-série I n°135 ENTRETIEN C. D. : Bien sûr, les rapports entre les deux pays sont un peu tendus, mais dans le milieu artistique règne jusqu’en 1914 un climat d’échange et de cosmopolitisme. Beaucoup d’Allemands viennent exposer à Paris tandis que les Français occupent une place importante dans les expositions, les galeries et certains musées outre-Rhin. Apollinaire se rend très tôt en Allemagne et assure le rôle de passeur, ses textes sont souvent traduits dans les revues allemandes. Marc et Macke, influencés par des courants développés à Paris (fauvisme, cubisme), vont être parfois jugés trop « français » dans leur pays, c’est-à-dire trop conceptuels et décoratifs. Vous présentez quelques œuvres de comparaison. Pourquoi ce choix ? C. D. : Nous avons inséré dans le parcours quelques œuvres d’artistes qui ont inspiré Marc et Macke, ou qui les ont accompagnés dans l’aventure du Blaue Reiter : une petite toile du Douanier Rousseau, une nature morte de Cézanne, des dessins et peintures de Robert et Sonia Delaunay, quelques aquarelles de Paul Klee ainsi que des œuvres de Kandinsky bien sûr. Il s’agit de mettre en exergue la dimension cosmopolite et collective du projet. Cette génération s’est inscrite dans un élan quasi utopique d’invention collective d’un nouveau langage. Le groupe du Blaue Reiter a organisé deux expositions – une première consacrée à la peinture et une deuxième aux arts graphiques – au sein desquelles ont été présentées des œuvres d’artistes parisiens. Marc et ses amis se sont aussi impliqués dans l’organisation de l’exposition des futuristes à Cologne, en 1912. Les deux artistes ont puisé largement leur inspiration dans l’art français, de Delacroix à Delaunay. Ils ont été particulièrement marqués par les Fauves. S. I. : Ils s’intéressent à l’art français d’avant-garde. Or, à l’aube du XX e siècle, Delacroix est encore une figure de la modernité. Marc apprécie en particulier ses représentations de chevaux. Le fauvisme a souvent été opposé à l’expressionnisme allemand, les liens entre les deux mouvements sont pourtant très étroits. Il faut savoir que le groupe Die Brücke est fondé à Dresde en 1905, de manière quasi concomitante au fameux scandale des « Fauves », au Salon d’automne de 1905. Plus tardif, le groupe du Blaue Reiter se forme autour de Marc et Kandinsky vers 1911-1912. Ces derniers vont revendiquer l’influence des Fauves et notamment de Matisse. Marc publie d’ailleurs dans l’ Almanach un article intitulé « Les “Fauves” d’Allemagne ». C. D. : Grâce aux artistes allemands d’avant-garde et à plusieurs galeries, à Berlin notamment, la présence des Fauves français va être de plus en plus prégnante en Allemagne. Quels rapports les membres du Blaue Reiter entretiennent-ils avec ceux de Die Brücke ? S. I. : Ils entretiennent de très bons rapports, Marc se rend à Berlin et passe du temps avec eux, puis il les convie à participer à la seconde exposition du Blaue Reiter. C. D. : Ce qui n’empêche pas les débats. Du fait de son organisation fédérale, l’Allemagne se distingue de la France par la pluralité de ses « centres » : Berlin va être un foyer dada bien plus politique que Munich. Les artistes de Die Brücke, comme Ernst Ludwig Kirchner par exemple, s’orientent vers une figuration plus agressive, un rejet du monde industriel et urbain plus marqué. S. I. : Le Blaue Reiter a la Franz Marc, Jeune garçon avec un agneau (Le Bon Berger) [Knabe mit Lamm (Der gute Hirte)], 1911 Huile sur toile, 88 x 83,8 cm. New York, The Solomon R. Guggenheim Museum. Photo service de presse © The Solomon R. Guggenheim Foundation / Art Resource, NY, dist. RMN

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