Extrait L'Objet d'Art

7 FÉVRIER 2021 L’OBJET D’ART Un joyau du Prado Le musée madrilène possède quelque 130 œuvres de Goya parmi lesquelles de nombreux cartons de tapisseries appréciés pour leur verve et leurs sujets aimables, quelques compositions religieuses et de superbes portraits de la famille royale, de courtisans ou d’aristo- crates. Daté de 1784, le premier grand portrait de groupe que brosse le peintre de Fuendetodos n’est toutefois pas conservé à Madrid mais à la fondationMagnani-Rocca à Parme, et il ne s’agit pas vraiment d’un portrait officiel mais plutôt d’une représentation intimiste de la famille de l’infant Louis Antoine de Bourbon, collectionneur averti qui s’illustre alors comme l’un desmécènes du peintre. L’artiste lui-même apparaît au premier plan, en plein travail, sous le regard attentif d’une petite fille qui n’est autre queMaría Teresa, âgée de 4 ans... Devenue comtesse de Chinchón, c’est tout naturellement qu’elle fera appel au talent de Goya, lequel s’impose au tournant du XIX e siècle comme le portraitiste par excellence de la société madrilène. Conservée par ses descendants, l’œuvre intègre en l’an 2000 (précisé- ment 200 ans après sa réalisation) les collections du Prado, acquise pour près de 24 millions d’euros ! Elle est rapidement devenue l’une des œuvres phares du musée et cette restauration lui offre un bain de jouvence bien mérité. Une nouvelle jeunesse La restauration entreprise en mars dernier a été exécutée par Elisa Mora, laquelle travaille depuis trente-huit ans au Prado et a restauré vingt-cinq œuvres du maître qu’elle admire profondément, dont qua- torze appartenant aumuséemadrilène (mentionnons en premier lieu le célèbre Dos de Mayo ). Selon elle, il s’agit incontestablement là « du meilleur portrait de Goya ». On ne sait pratiquement rien des précédentes interventions, si ce n’est que des petites zones avaient été consolidées par les équipes du Prado en 1988 et en 1996, lorsque la toile avait été exposée au musée. En 2000, des radiographies aux rayons X révèlent que Goya a travaillé sur une toile déjà utilisée à deux reprises. On discerne en effet un por- trait de Godoy et, en dessous, les traits d’un jeune chevalier de l’ordre de Malte dont l’identité n’a pas été déterminée. Ces deux effigies ont été recouvertes d’une préparation beige rosé sur laquelle le peintre a finalement brossé le portrait de la comtesse de Chinchón, mais Godoy est tout de même présent puisque c’est sans doute lui qui apparaît en miniature sur la bague de son épouse. Le tableau était dans un état de conservation tout à fait satisfaisant, la restauration a toutefois permis de consolider la couche picturale qui s’était craquelée par endroits, et bien sûr d’ôter les vernis oxydés. Une fois encore, la restauration révèle le coup de pinceaumagistral de l’artiste qui utilise très peu de matière picturale mais use habilement de légers empâtements pour créer des effets de reliefs et des reflets saisissants ; on admire ici les touches de pinceau quasi impression- nistes qui animent les boiseries dorées du fauteuil. Elisa Mora a restitué les tons vert vif des épis de blé, la finesse de la mousseline qui accroche la lumière au premier plan, ou encore la cheve- lure vaporeuse dumodèle. On perçoit à nouveau l’admirable subtilité de la gamme chromatique, le teint rosé du visage et le remarquable travail des gris et des blancs « qu’il sait rendre comme personne ». Travaillé tout en finesse à l’aide d’une palette très restreinte, le fond neutre qui environne et isole la comtesse n’est pas sans rappeler Velázquez, lequel brossait, deux siècles plus tôt, des portraits sur des fonds presque unis d’une étonnante sobriété. Mais c’est surtout l’incroyable capacité de Goya à capter la personnalité de ses modèles qui séduit ici : « Il a su transcrire l’âme et les sentiments de la comtesse, souligne Elisa Mora, notamment à travers son sourire qui me rappelle celui de la Joconde ». Myriam Escard-Bugat www.museodelprado.es Francisco de Goya, La Famille de l’infant Don Louis Antoine de Bourbon , 1783-1784. Huile sur toile, 248 x 328 cm. Parme, Fondation Magnani-Rocca. © Photo Scala, Florence

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