Extrait L'Objet d'Art

6 L’OBJET D’ART FÉVRIER 2021 LA COMTESSE DE CHINCHÓN PAR GOYA Le musée du Prado vient de raccrocher sur ses cimaises l’un des joyaux de ses collections tout juste restauré : le portrait de la comtesse de Chinchón par Francisco de Goya (1746-1828). Le destin chahuté d’une aristocrate Assise dans un élégant fauteuil dont les reflets dorés font écho à ses bijoux et à sa chevelure bouclée, la comtesse de Chinchón offre un visage d’une grande douceur. Si l’on souligne volontiers le caractère peu flatteur de certains portraits de Francisco de Goya, le peintre démontre ici sa capacité à saisir la psychologie des modèles pour lesquels il éprouve de l’empathie, en choisissant avec soin regard, pose et accessoires : la jeune femme tout juste âgée de 20 ans affiche un léger sourire mais semble absorbée dans ses pensées, le regard absent, presque mélancolique, la pose simple, un peu timide. Mais qui est María Teresa, comtesse de Chinchón ? Issue du mariage morgana- tique de l’infant Louis Antoine d’Espagne, lequel avait été éloigné de la famille royale pour avoir refusé la carrière ecclésiastique qui lui était réservée, elle vient de passer douze ans au couvent lorsque son cousin le roi Charles IV et son épouse décident de la marier à Manuel Godoy en 1797. Cette union arrangée permet à María Teresa et à sa famille d’accéder enfin aux honneurs et aux titres que le défunt Charles III leur avait implacablement refusés, mais Godoy, hom- me politique le plus influent du royaume après le roi, s’avère être un époux volage et fort méprisant à son égard (Goya brosse en 1801 son portrait en arrogant Prince de Paix, alors qu’il est au faîte de sa gloire). Le premier peintre de la chambre du roi immortalise la comtesse enceinte, après trois ans d’une triste vie de couple – elle doit notamment vivre avec la maîtresse de son mari, Pepita Tudó. Suivant la mode du temps qui voit les chevelures des femmes s’orner de fleurs et de fruits, María Teresa arbore des épis de blé vert, symboles de fer- tilité. Elle donnera quelques mois plus tard naissance à sa fille unique tandis que son époux commencera à connaître des revers de fortune qui le contraindront à l’exil et à la pauvreté. Francisco de Goya, La Comtesse de Chinchón (après restauration), 1800. Huile sur toile, 216 x 144 cm. Madrid, Museo Nacional del Prado. Photo service de presse. © Museo Nacional del Prado CHEF-D’ŒUVRE SUR LA SELLETTE

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