Extrait Dossier de l'Art

DOSSIER DE L’ART 275 / 7 son entourage familial et celui de Dürer lui permirent d’établir des contacts précoces avec l’humanisme ; même s’il ne fréquenta pas d’université, on peut tenir pour acquis qu’il connaissait le latin et qu’il avait lu des ouvrages anciens, aussi bien théologiques que pro- fanes, dont il tira un certain nombre de sujets, quitte à les subvertir parfois à sa façon. Outre des dessins et de nombreuses petites gra- vures pour des livres de piété, on peut suppo- ser qu’il a dû collaborer à des tableaux de Dürer, mais ses vrais débuts picturaux consistent en deux retables datés de 1507, commandes de l’archevêque de Magdebourg, Ernst de Saxe, peut-être par l’in- termédiaire de Dürer. Le Retable de saint Sébastien est particulièrement remarquable par l’habileté de la composition et le sens des couleurs, mais surtout par l’autoportrait de l’artiste, figuré debout presque au centre du tableau et manifestant l’assurance du jeune créateur habillé en dandy de l’époque. Baldung, peintre et notable Son retour en 1509 à Strasbourg, où il épouse Margaretha Herlin, une fille de commerçants, marque le début d’une belle carrière d’artiste urbain, fournis- seur de feuilles volantes et de gravures d’illustration de livres pour la florissante imprimerie strasbourgeoise. Dépendant certes des commandes, il sera de plus en plus en mesure de choisir ses sujets. Il s’installa en 1513 de l’autre côté du Rhin, à Fribourg-en-Brisgau, où le chœur de la cathédrale venait d’être achevé et où l’on lui passa commande d’un retable pour le maître- autel. Il y restera jusqu’en 1517, terminant ce qu’on peut appeler son chef-d’œuvre o#ciel 2 , mais réalisant aussi d’autres peintures, des feuilles gravées religieuses ou mythologiques ainsi que des dessins érotiques ayant pour sujet des « sorcières » figurées dans des posi- tions scabreuses, contrepoint assez étonnant à la reli- giosité ambiante, mais qui émane d’un artiste cultivant dès ses débuts et jusqu’à la fin un ensemble de thèmes mêlant le sexe et la mort. Sans connaître les sommes exactes que Baldung a touchées pour ce retable (il est d’ailleurs très rare qu’on connaisse des contrats précis de cette époque), 1. Selon une hypothèse déjà ancienne, ce surnom, visant peut-être à di!érencier Baldung des autres « Hans » de l’atelier de Dürer, pointerait le goût du peintre pour le vert, assez manifeste dans ses tableaux. 2. Ce retable figure parmi les tout derniers réalisés avant la propagation de la Réforme, qui, même dans les régions restées catholiques, met un coup d’arrêt aux grandes commandes. C’est plutôt dans les principautés luthériennes (Wurtemberg, Saxe, Allemagne du Nord) que l’on retrouvera des retables à partir des années 1540. Un âge entre humanisme et Réforme L’articulation entre Réforme et humanisme dans le Saint- Empire ne se résume pas à un changement de génération. En e#et, presque tous les humanistes nés dans les années 1460-1470 et qui vivent encore en 1520, dans les premières années d’a$rmation de la Réforme, ont refusé d’y adhérer, trop élitistes, trop attachés au trône et à l’autel. Malgré les critiques très vives que nombre d’entre eux, par exemple les Strasbourgeois Jacob Wimpfeling et Sebastian Brant, adressaient à l’Église de leur temps, ils étaient trop conformistes pour faire le pas. Le plus illustre d’entre eux, Érasme, qui résidait à Bâle à cette époque, avait encouragé Luther dans un premier temps, mais prit rapidement ses distances quand ce dernier commença à attaquer le pape et que la résonance de ses écrits fut telle que l’anticléricalisme, déjà important dans les villes, se transforma progressivement en mouvement social. Le thème de la folie, inauguré par le « best-seller » que fut La Nef des fous de Brant (paru en 1494 et maintes fois réédité ou adapté dans diverses langues), est très révélateur de la prise de conscience par les milieux humanistes de l’imminence d’un grand changement, assimilé à la « folie » des hommes. Le fond conservateur de ces publications est évident, même si l’É loge de la folie d’Érasme (1509), littérairement très supérieur au livre de Brant, pratique volontiers l’autodérision. Les principaux apports de l’humanisme demeurent la redécouverte des sources gréco- latines et une forte volonté d’éduquer les élites. Q Hans Burgkmair l’Ancien, Portrait de Sebastian Brant , vers 1508. Huile sur panneau, 37 x 31 cm. Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle © Staatliche Kunsthalle Karlsruhe

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