Extrait Art et Métiers du Livre

L’ I N S P I R AT I ON DU R E L I E U R U n livre, une reliure 24 AML N° 325 La lecture est-elle un préalable à la création du décor ? Oui,je lis toujours le livre que je vais relier.J’aime m’im- prégner du texte pour en sentir les mots, le sens qu’ils suggèrent. Ils peuvent se traduire dans mon esprit par des formes, des couleurs, des sensations, des senti- ments, etc., me conduisant à imaginer un décor avec une tonalité dominante autour d’une ou plusieurs matières. Quel est le sujet du texte ? La Vigilance du jour est un long poème à la première personne. Nous accompagnons l’auteur dans ses déambulations intérieures et ses marches dans la nature, comme au travers de scènes. Des paysages de montagne ainsi que les intérieurs d’une maison sont décrits, avec une présence particulière de portes en bois, souvent dépeintes comme des visages. La forme du poème change-t-elle, par rapport au roman, la manière de traiter la reliure ? Certainement. La structure du poème va rendre le sujet plus implicite qu’avec des formes expressives, où l’emploi des mots affiche un champ lexical sus- citant des sensations conduisant au sujet. Le roman énonce plus directement son sujet, souvent par des faits établis, le caractère d’un héros, une histoire qui se déroule dans une certaine réalité. Ces élé- ments du roman vont avoir une immédiateté dans l’élaboration mentale d’un décor. Dans le cas du poème, c’est le rythme, la structure des phrases et le sens que je vais ressentir qui guident et portent mon imagination. Quels éléments vous ont influencée ? J’ai d’abord lu le poème dans ma tête, puis à haute voix. J’ai eu besoin de « l’entendre » pour ressentir son rythme. La construction du texte et sa cadence m’ont évoqué le temps qui passe, tout comme le mot « crâne » souvent mentionné dans les scènes, que j’ai associé aux « vanités » en peinture – natures mortes allégoriques du passage du temps, entre autres. La notion de « passage » y est aussi manifeste avec les portes-visages. Le contenu lui-même également : le champ lexical de la nature, la rudesse du temps en montagne, des saisons, le bois très présent tant dans les mots que les illustrations photographiques ont également guidé mes choix pour cette reliure. Quels matériaux avez-vous utilisés ? De la chèvre oasis poncée et du papier végétal, fabri- qué par mes soins. Il est frappant de constater qu’une même œuvre littéraire peut donner lieu à des décors radicalement différents. La culture du relieur, ses centres d’intérêt, ses matériaux de prédilection constituent quelques pistes pour comprendre ses choix. Mais quels liens établit-il entre le texte et son décor ? En bref, comment l’inspiration vient-elle au relieur ? La Vigilance du jour d’Yves Peyré, reliée par Hélène Limousin Yves Peyré, La Vigilance du jour , 5 photographies de Michel Nguyen, 2008,Vernon, Manière noire Éditeur, 14,8 x 21,5 cm, tirage 50 ex. Reliure d’Hélène Limousin, plein cuir de chèvre poncé, empreintes et mosaïques de papier végétal, 2017.

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