Extrait Art et Métiers du Livre

AML N° 324 21 La mise en œuvre « La grande cité silencieuse n’était plus alors qu’un assemblage de cubes massifs et inertes. » L’emprisonnement, le silence et l’immobilisme de la ville dont parle Camus sont figurés sur les plats de la reliure par les carrés – cubes massifs et vides – obtenus par l’impression de plusieurs passages de plaques de cuivre enduites d’encres typogra- phiques. Je travaille ensuite les nuances des teintes de ces carrés par estompage ou noircissement de certaines zones des plaques. « Les portes de la ville s’ouvrirent enfin…» L’effet de superposition et de transparence des blocs et leur agencement servent à proposer en même temps une perspective qui évoque la réou- verture à venir de la ville. Le cadre est à la fois celui du resserrement et de l’ouverture, comme cet espoir que Camus veut insuffler à l’homme. « De grandes averses balayèrent les rues […] Le vent se leva et souffla pendant plusieurs jours sur la cité […] Cette ville déserte, blanchie de poussière […] toute sonore des cris du vent, gémissait alors comme une île malheureuse. » Le vent, la pluie participent à cette atmosphère de désolation. Par le traitement de la peau, déglacée, arrachée jusque dans sa chair – en haut à droite du plat recto –, je laisse apparaître la ville meurtrie, la ville fantôme. En conclusion Ainsi, par le choix des différentes techniques et le long travail de mise en œuvre et d’agencement esthétique, je cherche à représenter une émotion, en allant à l’essentiel, par quelques traits qui sus- citent des impressions.Car, de toute lecture, lorsque je travaille le décor, je tente d’effacer les détails, la structure et la narration pour atteindre cette émo- tion qui n’a pas de mots. De haut en bas : La table de travail dans l’atelier d’Anne Leméteil. Box, veau naturel. Encre typographique, plaque de linoléum gravée, plaques de cuivre et laiton. Plaque de linoléum gravée, plaques de cuivre et laiton. Encre typographique, rouleau encreur. « Ces hommes emprisonnés entre le ciel et les murs de leur ville […] Toutes les portes étaient fermées et les persiennes closes […] La peste garda la ville repliée sur elle. » La mer et le ciel deviennent hostiles aux habitants, l’accès à la mer étant interdit. La ville se ferme ; la peur, la solitude retranchent les hommes derrière leurs persiennes. Pour suggérer ce repli sur soi, une plaque de linoléum striée horizontalement et encrée à l’encre typographique est appliquée sur le cuir passé sous presse. Le résultat évoque des per- siennes, à travers lesquelles percent les regards de toute une cité méfiante. Les photos de cet article sont à créditer à Hervé Lasvignes.

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