Extrait Sport & Vie

hors-série n o 53 27 rôles chez Pagnol ( Le Schpountz , La Fille du puisatier ), a réalisé quelques films, chanté à la radio et s’est pro- duit dans les cabarets. Il fallait bien qu’il subvienne aux besoins de ses trois enfants! Et de son épouse Henriette-Félicie, aussi. Cette traversée sans dom- mage du conflit ne ternira pas sa réputation, lui qui tiendra ensuite le rôle récurrent du curé d’un village italien tenu par les communistes. C’est donc par le hasard de ses tournées que le citoyen Fernand-Joseph-Désiré Contandin participa, pour un unique match sous le maillot de Montpellier-Languedoc, au championnat de France de football. Oui, Don Camillo, Topaze, le moine de L’Auberge rouge , l’évadé de La Vache et le prisonnier , autrement dit le célèbre Fernandel, a été foot- balleur le temps d’un après-midi de juin. Malheureusement, on ne dispose à ce sujet de rien d’autre que les registres offi- ciels de l’époque. Ne sont restés ni archives écrites, ni témoi- gnages oraux. On sait donc que son équipe a perdu 5-2 mais impossible de savoir si balle au pied, Fernandel eut «l’air d’une andouille» (sur l’air de Félicie aussi )! François Borel-Hänni (*) On doit l’expression à Jacques Thibert, ancien rédacteur en chef de France Football. meilleur des mondes occupés, alors? Que nenni. En réalité, ce championnat fédéral fut un grand n’importe quoi. Du «foot au goût de faux café» , comme le décrivit un journaliste célèbre (*). Et pour cause, les équipes étaient confrontées à mille difficul- tés pour organiser les déplacements et l’hébergement dans un pays confronté aux restrictions de la guerre, ce qui les obli- geait souvent à reporter ou délocaliser des matchs. Il leur fal- lait gérer aussi la raréfaction des joueurs volontaires et recom- poser sans cesse les effectifs en fonction des disponibilités. Les rencontres disputées à neuf contre dix avec un gardien au poste d’avant-centre, un entraîneur quinquagénaire obligé de chausser les crampons ou le renfort de quelques joueurs d’un club tiers, furent monnaie courante. Bien entendu, la mas- carade devint de plus en plus ridicule à mesure que la saison avançait et que les Allemands reculaient. C’est ainsi que nous arrivons à la dernière journée de ce championnat fédéral, pro- grammée début juin 1944. Eh, Don Camillo, tu joues quel poste? Dans un Parc Lescure vaguement occupé par 3000 badauds venus tuer l’ennui, et tandis qu’à Londres, DeGaulle, Churchill et Eisenhower discutent déjà de l’administration des futurs territoires libérés, Bordeaux-Guyenne reçoit Montpellier- Languedoc pour entretenir l’illusion de normalité voulue par Vichy, qui n’a plus que quelques semaines à vivre. Mais même une illusion demande unminimumd’intendance, or les Montpelliérains se sont pointés à huit. Il y a bien parmi eux Louis Gabrillargues, un international en activité, mais ©a ne suffit pas. Pour que ce match ressemble à quelque chose, il en faut onze de chaque côté au coup d’envoi. Bordeaux prête deux de ses joueurs. Las, cela ne faitquedix.Oncherchedoncunonzième.N’importe lequel, du moment qu’il tienne sur ses deux jambes et soit prêt à courir 90 minutes. C’est alors qu’on dégote un chansonnier de 41 ans à l’accent fleuri, originaire de Marseille et non du Languedoc mais on en est plus à ça près. Il est en pleine forme après des mois à sil- lonner le pays. Pas bêtes (ou cyniques, au choix), les Allemands avaient bien compris qu’il fallait offrir des distractions au peuple vaincu. Certains artistes eurent donc droit à un traitement de faveur et purent notam- ment tourner de gentilles comédies sous la bannière de la Continental, une compagnie allemande. C’est ainsi qu’après avoir participé à la Drôle de guerre, notre chansonnier-footballeur, déjà connu pour ses ROI DU NANAR La rencontre entre Bordeaux- Guyenne et Montpellier-Languedoc n’est pas à proprement parler la pre- mière expérience footballistique de Fernandel. Dans Les Rois du sport , qu’on décrirait aujourd’hui comme un gros nanar, l’acteur démontrait déjà son goût pour le football en jouant le rôle d’un gardien de but. Le scénario de ce film, réalisé en 1937 par Pierre Colombier, a été écrit sur une serviette de table: Fernandel y interprète Fernand, un garçon de café marseillais qu’un pari perdu conduit à Paris où, par la suite de quiproquos divers, il est pris pour un boxeur et un pilote automobile. Les scènes sportives sont un bricolage entre des images d’archives issues des informations et des séquences de Fernandel seul à l’écran, qui tente de faire illusion. Sa parti- tion burlesque empêche de savoir s’il a un quelconque talent puisque dans le film, il est censé être un piètre sportif. Ce qu’il réussit très bien à incarner. Don Camillo: «mes mains sont faites pour bénir… mais les pieds?» Dieu: «tes mains sont faites pour bénir. Pas pour frapper»

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