Extrait Sport & Vie

n o 194 65 jeunes (4). De plus, les chemsexers ne sont pas forcément multi-diplômés et n’habitent pas tous en ville. Combien sont-ils" C’est difficile à dire. Dans son rapport publié en 2019, l’OFDT estime que jusqu’à 20% des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes seraient concernés, soit un nombre estimé entre 100.000 et 200.000 personnes en France. Mais le document précise que cette propor- tion est certainement sous-évaluée. Il faut dire qu’Internet facilite l’expan- sion du phénomène. Plus besoin d’al- ler sur le «dark web» pour se procurer les drogues. Quelques clics sur les réseaux sociaux suffisent. Les appli- cations de rencontres géolocalisées du type Grindr se chargent aussi de diffuser les informations sur les «plans chems» , c’est-à-dire des rencontres sexuelles rapides avec des inconnus. Selon une étude néerlandaise, près de 30% des utilisateurs des applications de rencontres gay s’adonneraient au chemsex (6). Sur ces plateformes, le sujet n’est absolument pas tabou. De nombreux utilisateurs indiquent d’ail- leurs comment ils s’y prennent, avec quels types de produits pour quels types de rapports. Enfin, il semble- rait que la période de confinement que nous avons traversée ait aussi facilité l’essaimage de la pratique et pas seulement dans les grandes métropoles. «Comme ils ne pouvaient plus sortir de chez eux, les gens ont pris l’habitude de s’enfermer du vendredi au dimanche dans des appartements pour avoir des rapports sexuels en prenant des substances» , explique Jean-Luc Romero-Michel dans une interview. Aujourd’hui, le chemsex se pratique dans des soirées libertines ouverte- ment affichées comme telles ou dans le cadre de comités plus restreints, seulement sur invitation, ou encore au sein des couples. Parfois, il se trouve même s’il s’inscrit dans une histoire millénaire puisqu’aussi loin qu’on remonte dans le temps, on verra que les hommes ont été soucieux de trou- ver dans leur environnement des adju- vants à leur sexualité sous la forme de plantes ou de tissus animaux. Pendant longtemps, ceux-ci agissaient sur- tout par effet placebo. Le chemsex, lui, interfère directement avec notre biologie intime. En cela, il marque une spécificité dans l’histoire des produits aphrodisiaques. Comme souvent dans ces cas-là, la mode vient des Etats- Unis où, dès le début des années 2000, le chemsex se serait imposé, nimbé d’un parfum de scandale. Ainsi, en janvier 2020, le New York Times publiait un article choc comparant le chemsex à l’épidémie de sida qui a touché la communauté homosexuelle dans les années 80 (3). Cette analogie avec le VIH se retrouve aussi dans le discours de certaines associations de lutte contre l’usage des psychotropes qui parlent même de «sida numéro 2» . Précisons ici que, parmi les personnes qui pratiquent le chemsex, on trouve effectivement beaucoup de séropo- sitifs: un sur trois selon l’enquête de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) (4). On trouve par conséquent parmi les pratiquants beaucoup de personnes séronégatives qui utilisent la prophy- laxie préexposition, c’est-à-dire qu’ils suivent un traitement à base d’antiré- troviraux pour prévenir l’infection par le virus. D’autres précisions? D’après les rares enquêtes dont on dispose, les pratiquants du chemsex sont majo- ritairement des hommes, même si la proportion des femmes va croissante. Quant aux tranches d’âge les plus concernées, elles ont tendance àbeau- coup s’élargir. Le recours aux drogues n’est plus du tout le fait de personnes à la virilité chancelante. Dans certains cas, elles sont même présentes dès l’entrée dans la sexualité. Il y a dix ans, l’enquête «Sea, Sex and Chems» révélait ainsi un profil type de l’usager –homosexuel, cadre supérieur, urbain, entre 35 et 45 ans– très différent de celui qui prévaut aujourd’hui. Désormais la moyenne d’âge serait plutôt de 27 ans avec un très large écart-type. En d’autres termes, les consommateurs sont souvent beau- coup plus vieux ou beaucoup plus sport, la médaille possède aussi son sordide revers, à l’origine de situa- tions parfois dramatiques comme celle décrite dans l’introduction. Car la mort de Christophe n’est évidem- ment pas un cas esseulé. Selon une étude menée par le Centre d’addicto- logie de Paris, 24 personnes sont offi- ciellement décédées d’overdoses liées au chemsex entre 2008 et 2017 (2). Dans la réalité, elles sont sans doute infiniment plus nombreuses. Les psychotropes, c’est trop! Dans le livre de Jean-Luc Romero-Michel, plusieurs phéno- mènes se télescopent douloureu- sement. Notamment la méconnais- sance presque totale qui caractérise encore le chemsex en France. Avant le décès de son mari, l’auteur lui-même confesse qu’il en avait vaguement entendu parler mais sans se douter une seconde que son compagnon y avait recours. Grâce à cette parution, le sujet a bénéficié d’un peu plus d’at- tention médiatique. Mais de larges zones d’ombre persistent encore et, dans le grand public, nombreux sont ceux qui ignorent absolument tout de ces pratiques. Cela s’explique faci- lement. Le phénomène est récent en France, une dizaine d’années à peine, Grindr, le Tinder gay

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