Extrait Sport & Vie

n o 189 19 l’autre. “Deux substances réellement dis- tinctes” , disait Descartes. Le fait que des rats sporঞfs fassent la démons- traঞon de leur meilleure mémoire géographique prend en défaut ce‚e ancienne dichotomie. Comment l’expliquer? Excluons d’emblée l’in- fluence généঞque. Tous les rats de l’expérience provenaient des mêmes lignées familiales. Le protocole avait aussi été conçu de manière à éviter tous les autres biais d’interprétaঞon. Il fallait que ce soit bel et bien la pra- ঞque d’une acঞvité physique régu- lière qui fasse la di@érence et qu’on n’ait d’autre explicaঞon que l’épigé- néঞque. Rappelons que ce‚e branche de la généঞque s’intéresse aux méca- nismes qui modifient le niveau d’acঞ- vaঞon de nos gènes pour in fine fabri- quer les protéines qui consঞtuent notre organisme et le renforcent. Dans nos précédents arঞcles sur le sujet, on a vu qu’elle était notamment à l’œuvre dans l’adaptaঞon musculaire à l’entraînement et de “mémoire” du muscle (*). On découvrait notamment de plus en plus vite. Le temps passé dans l’eau et la distance parcourue en nageant décroissaient à l’unisson. Du moins, cela se passe ainsi quand les rats sont jeunes. Coureurs ou non, les juvéniles apprennent vite. Quant aux vieux rats, ils apprennent tout aussi vite que les jeunes, à condi- ঞon d’être coureurs! Les vieux rats non–coureurs se contentaient à chaque fois de barboter dans la panique la plus totale, comme s’ils ne se rappelaient jamais où se trouvait ce‚e fichue plate-forme. Le purgatoire des souvenirs Ce‚e expérience heurte l’ancienne représentaঞon d’un corps et d’un esprit totalement imperméables l’un à Mais ce n’est pas fini! Les chercheurs eurent ensuite l’idée de sélecঞonner di@érentes catégories de rats pour comparer leurs performances. Ils disঞnguèrent ainsi les groupes d’ani- maux par les le‚res “Y” (pour “young” ou “jeunes” ) et “O” (pour “old” ou “vieux” – notez qu’un rat est vieux à deux ans). On trouvait aussi des rats “R” (pour “runners” , “coureurs” ) logés dans des cages équipées de peঞtes roues où ils pouvaient se dépenser tout leur saoul. Là encore, il faut préciser que lorsqu’on o@re à un rat la possibilité de faire du sport, il en profite pleinement. Certains courent plus de trois kilomètres par jour. Quant aux “NR” , vous l’aurez com- pris, il s’agissait de rats “non runners” (traducঞon pas nécessaire) dont les cages étaient dépourvues de peঞte roue et donc considérés comme des individus sédentaires. En asso- ciant ces paramètres, on obtenait donc quatre groupes: les YR (jeunes coureurs), les YNR (jeunes non-cou- reurs), les OR (vieux coureurs) et les ONR (vieux non-coureurs). Les résul- tats furent soigneusement repor- tés sur un schéma qui montre qu’à chaque répéঞঞon de l’expérience, les rats trouvaient la plate-forme LE SILENCE DES COCHONS Lorsqu’on fait de la cuisine, on donne à toutes les denrées des noms génériques, lait, farine ou œufs, comme s’il s’agis- sait d’entités homogènes. Or ce n’est pas forcément le cas. L’épigénétique nous apprend en effet que, pour ces aliments comme pour tous les autres, le produit final dépend beaucoup des modes de production. Prenons l’exemple de la viande de porc. Elle est la plus consommée dans le monde car, pour leur malheur, les cochons sont capables de survivre aux pires conditions d’élevage et parviennent à se nourrir d’à peu près tout ce qu’on voudra bien verser dans leurs mangeoires. On écrit “pour leur malheur” parce que cette formidable vitalité joue en leur défaveur, l’industrie agroalimentaire profitant de leur exceptionnelle vigueur pour les exploiter sans aucune considération pour leur santé et leur bien-être, car cela coûte beaucoup moins cher. Le cochon n’est pas le seul à pâtir de ce scandale. Le consommateur aussi est lésé. Des travaux récents ont montré qu’en raison d’interférences épigénétiques, la nourriture proposée à ces animaux de boucherie affecte en bout de chaîne la qualité de leur propre viande. Ainsi, le four- rage influence directement le niveau d’activation de nombreux gènes impliqués dans la production de cholestérol ou dans le métabolisme du glucose. Pour des raisons à la fois de dignité et de santé, on devrait être plus vigilant sur les pratiques d’élevage pour respecter à la fois l’animal et le consomma- teur. Dans toute la France, quelques éleveurs ont compris ces enjeux. Parmi eux, ceux de la Grange d’Eyne, près de Cambre d’Aze dans les Pyrénées-Orientales. Mais ce n’est pas encore la révolution attendue ailleurs en France. Peut-être est-ce une question de terminologie? Aujourd’hui, le simple mot de “jam- bon” peut aussi bien désigner la pire malbouffe que le meilleur de l’agriculture de terroir. Référence: Impacts of Epigenetic Processes on the Health and Productivity of Livestock , dans Frontiers in Genetics , février 2021 (*) Nous refermons en e@et avec cet arঞcle un cycle consacré à l’épigénéঞque: les trois textes précédents sont “La légende du loup-garou” ( Sport et Vie n°185), “La mémoire des muscles” ( Sport et Vie n°186) et “Le meilleur de tous les antidépresseurs” ( Sport et Vie n°188).

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