Extrait Sport & Vie

n o 184 35 Autrement dit, le gras est une prouesse de l’évolution! Dix-sept pourcents Outre son rôle de réserve de carburant, notre graisse s’est révélée être aussi une formidable productrice d’hor- mones. Au début des années 1990, des chercheurs ont découvert la leptine (du grec «leptos» qui signifie «mince» ). Cette hormone, produite par les tissus gras, entraîne dans le cerveau une sensation de satiété. Ce système est particulière- ment ingénieux. Les cellules adipeuses fabriquent de la leptine en proportion de la quantité de graisse dont elles sont gorgées. Plus elles sont grosses, plus elles produisent de leptine. Aussitôt, la sensation de faim s’atténue. A contrario, si les réserves descendent en-dessous d’un certain seuil, la leptine se raréfie, ce qui est interprété par le cerveau comme le signe qu’il est grand temps de passer à table. Cette découverte a constitué une avancée déterminante dans les recherches sur le métabolisme. Depuis, de nombreuses équipes de recherche s’efforcent de découvrir de nouvelles hormones. Avec succès! Aujourd’hui, on recense plus de 600 substances ou «hormones lipidiques» différentes dont les fonctions exactes n’ont pas encore été toutes délimitées. On sait que cer- taines exercent un effet inflammatoire. D’autres modifient la pression artérielle. biclous et survivre aux famines, c’est grâce à la graisse! En général, on estime que les lipides représentent 20% de notre poids, soit 14 kilos pour un adulte en pleine santé de 70 kilos. Comme la combustion d’un gramme de graisse génère 9,4 kcl, cela correspond à une réserve totale de 131.600 kcl, ce qui signifie que nous pourrions théori- quement tenir sans manger pendant plus de deux mois! On observe aussi que le stockage des graisses est plus abondant chez les femmes que chez les hommes. La différence représente une dizaine de kilos. Là encore, on a calculé que cela correspondait exactement au surcoût énergétique pour mener une grossesse à terme, même en période de disette. De tous les organes de notre corps, la graisse est probablement celui qui se prête le mieux à ce genre de démonstration, et aussi celui qui a le plus contribué à doter notre espèce d’une bonne autonomie. Une seule cellule graisseuse contient des milliers de triglycérides (associations de trois acides gras). Quand le corps en a besoin, il cisaille ces triglycérides et leur permet de passer dans le sang afin qu’ils soient utilisés comme carburant. Grâce à nos cellules graisseuses, aussi appelées adi- pocytes, nous ne sommes pas tenus de manger constamment. Notre couenne fait office de viatique. Par le passé, cela nous a permis de nous éloigner tempo- rairement des sources de nourriture. La graisse a favorisé notre expansion sur tous les territoires et contribué au développement d’activités com- plexes et de civilisations sophistiquées. La graisse prend une part très active dans presque toutes les fonctions orga- niques, en fournissant par exemple le substrat des hormones nécessaires à la reproduction ou en enrobant nos fibres nerveuses d’une fine couche d’isolant (la gaine de myéline), ce qui permet la transmission rapide de l’influx ner- veux. Sans cette myéline (très riche en lipides), on mettrait beaucoup de temps à s’apercevoir par exemple que l’on a posé la main sur la plaque brûlante de la cuisinière et lorsqu’on penserait enfin à l’ôter, elle serait déjà en train de rôtir, emplissant la pièce d’une forte odeur de barbecue. La graisse est essentielle à notre réactivité. Depuis les années 1990, on sait aussi qu’elle est le haut lieu de la production d’un bon nombre de substances messagères qui per- mettent aux organes de communiquer entre eux, notamment avec le cerveau. De ce fait, la graisse influence beaucoup notre humeur. Loin d’être passive, elle est donc un organe actif (1). Très actif! Histoire de lard Commençons cette présentation de la graisse par un court rappel de son rôle dans l’approvisionnement des filières énergétiques. On le sait, pour bien fonctionner, notre corps utilise principalement deux types de carbu- rants: les sucres et les graisses. Les premiers sont facilement assimilables et rendent rapidement disponibles de grandes quantités d’énergie, raison pour laquelle on leur prête autant d’attention dans le sport. Mais s’il nous fallait vivre sur nos réserves en sucre, nous mour- rions de faim au bout d’un jour et demi. Heureusement, nous pouvons compter sur notre second carburant: les graisses. Moins performante lorsqu’il s’agit d’acheminer l’énergie à très haut débit, la graisse est plus rentable en matière d’oxydation et surtout, elle est beau- coup plus abondante. Des études ont montré que la combustion d’un gramme de graisse procure 9,4 kcl contre 4,1 kcl pour un gramme de glucose. Encore un calcul rigolo? S’il nous fallait stocker sous forme de sucres autant de calo- ries qu’en contiennent nos réserves de graisse, nous devrions a minima être deux fois et demie plus gros que nous le sommes (*). On pèserait tous entre un et demi et deux quintaux et nos vélos ressembleraient à des Harley Davidson. Donc si l’on peut à la fois garder nos (*) Pour atteindre 131.600 kcl, il faut théoriquement ingérer 32 kilos de sucre. Cependant, dans la réa- lité, le stockage d’un gramme de sucre implique aussi celui de 3 grammes d’eau. Il faut donc rajouter presque 130 kilos! Sans graisse, pas de réflexe!

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