Extrait Sport & Vie

n o 173 27 Les explorateurs d’épaule O Dans un livre sorti en 1979, l’économiste Jacques Attali évoquait la survenue prochaine d’une révolution en médecine avec la banalisation des interventions de remplacement. L’ouvrage s’appelait L’Ordre cannibale . En clair, il prédisait la fin des traitements classiques, où l’on cherche à soigner les organes malades, au profit d’options plus radicales de substitution. Ce n’est pas toujours le cas avec Jacques Attali mais ce livre en particulier était prémonitoire. Pas tellement concernant les greffes. On en fait environ 6000 chaque année en France et ce nombre augmente très lentement. En revanche, les poses de prothèse ont explosé. Aujourd’hui, il n’est pas rare de rencontrer des sportifs âgés équipés d’une ou plusieurs prothèses aux genoux, aux hanches ou aux épaules. Parfois sur toutes ces articulations à la fois! Les prothèses sont de plus en plus nombreuses, disons-nous. On les pose aussi sur des patients de plus en plus jeunes. Il y a encore une dizaine d’années, on était réticent à l’idée d’opérer avant 65- 70 ans en raison de la brève durée de vie des pièces métalliques, estimée à environ 15 ans. Avec la maîtrise de nouveaux matériaux comme la céramique, les nouvelles prothèses sont devenues quasiment inusables. On peut donc intervenir plus tôt. Pour le sport aussi, on a changé de discours. Autrefois, on mettait en garde les patients équipés de prothèses contre l’activité physique par crainte qu’elle n’accélère l’usure des surfaces. Actuellement, on est moins sévère. On recommande seulement de pratiquer des activités déjà connues plutôt que de se lancer dans la découverte de disciplines nouvelles, plus susceptibles d’entraîner des faux mouvements et de nouvelles contraintes. Andy Murray pourra donc reprendre le tennis après son resurfaçage de hanche. Retrouvera-t-il le plus haut niveau? Rien n’est moins sûr cependant. Dans les sports d’équipe aussi, on s’attend à voir bientôt les premiers prothésés de la hanche reprendre du service. Pour l’épaule, ce sera sans doute un peu plus long. Il faut dire que l’articulation est plus complexe. Une épaule doit pouvoir bouger dans tous les plans de l’espace. En clair, elle doit permettre qu’on se gratte la tête, le dos et les fesses. De plus, elle doit résister à des forces importantes d’écartement, comme lorsqu’on soulève une bonbonne de gaz. Jusqu’à présent, les prothèses d’épaule copiaient l’articulation naturelle. La tête de l’humérus était remplacée par une cupule de même forme tandis que la partie plate de l’omoplate était restaurée à l’identique. Problème! L’état de délabrement des muscles et des tendons alentour n’assurait plus l’efficacité du haubanage et l’épaule risquait de se luxer à la première contrariété. Il y a une trentaine d’années, des chirurgiens ont donc proposé une réponse ingénieuse en réalisant le montage à l’envers. Cette fois, on plaçait la cupule sur l’omoplate et la partie plane sur l’humérus. C’est le principe de la prothèse inversée. Le but? Réquisitionner le deltoïde généralement préservé pour mobiliser l’articulation. Ce faisant on perd un peu de force, c’est vrai. Mais on conserve une bonne amplitude gestuelle sans risque de luxation. Et le sport? A priori, la reprise pose plus de problèmes que pour une hanche dont les surfaces articulaires sont mieux encastrées. On imagine mal récupérer des mouvements aussi complexes que le service en tennis ou le smash en badminton. Encore fallait- il en avoir le cœur net. Le docteur Pierre-Henri Flurin (Clinique du sport de Bordeaux-Mérignac) a donc réuni les dossiers de 377 patients opérés de l’épaule dans le cadre d’un très précieux travail de compilation (1). De son analyse, il ressort qu’environ un tiers des patients ont repris le sport après huit à douze mois de rééducation. Compte tenu de leur âge souvent avancé, ce résultat est très encourageant. D’autant qu’il s’agissait la plupart du temps de disciplines qui mobilisent durement les épaules comme le tennis, le golf ou la natation. Les chiffres révélaient aussi que la prothèse «inversée» (23,5%) faisait presque aussi bien que le modèle «anatomique» (29,5%). Ne vous y trompez pas! Cette communication n’a rien d’anodin. Elle marque une grande étape dans l’histoire de l’orthopédie puisqu’on arrive à restaurer une fonctionnalité sans copier le modèle d’origine. On se rendra sans doute mieux compte de son importance dans quelques années. Dr CD Référence: (1) Reprise du sport après prothèse totale de l’épaule , dans Journal de Traumatologie du Sport , décembre 2018 Prothèse à l’ancienne Prothèse revisitée Daniel Norris, le geste qui use

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