Extrait L'Objet d'Art hors-série n°166

Edgar Degas, Le Tub , 1886. Pastel sur carton, 60 x 83 cm. Paris, musée d’Orsay Photo service de presse © Musée d’Orsay, dist. RMN – P. Schmidt la nuque, accroupie dans la bassine ? Mais si le sujet, le titre et le médium sont identiques, le cadrage et le point de vue diffèrent nettement. Deux regards sur la nudité Manet confère à sa scène de toilette une douceur certaine, presque une innocence, que traduit bien le regard serein de son modèle – très proba- blement Méry Laurent, maîtresse occasionnelle du peintre. Elle sait que son corps, si imparfait soit-il, ne suscite que la bienveillance, voire le désir. Chez Degas, en revanche, l’échange avec le modèle n’existe pas. La vue en plongée trahit la distance, sinon l’inégalité, entre le spectateur et la baigneuse. Dans une position peu avantageuse, le visage dérobé, la jeune femme est réduite à une ana- tomie en mouvement. La vision du nu féminin ne s’encombre pas d’œillade enjôleuse, mais se veut bien plutôt une description objective. Gustave Geffroy, peut-être son commentateur le plus avisé, note que Degas peint « la femme qui ne se sait pas regardée , telle qu’on la verrait, cachée par un rideau, ou par le trou d’une serrure 1 ». S’il reconnaît que la nudité représentée n’a rien à voir avec « la formule académique ou mondaine » et qu’elle est celle de « la femme considérée en femelle, expri- mée dans sa seule animalité », il n’ac- cuse pas pour autant l’artiste demiso- gynie comme Joris-Karl Huysmans (qui y voit une « rousse boulotte et far- cie 2 ») et préfère comparer son art à un « traité de zoologie », sous-entendant que l’angle du genre ne saurait être pertinent pour comprendre le but qu’il poursuit. Influence mutuelle ? Présentée aux côtés d’autres pastels comparables lors de la VIII e exposi- tion impressionniste, l’œuvre contri- bue grandement à affirmer Degas comme le peintre des baigneuses et à asseoir sa réputation de « réa- liste ». Pendant plus d’une dizaine d’années, il déclinera le sujet avec le même bonheur, faisant oublier que Manet avait montré avant lui en 1880, en sus de Femme dans un tub , une superbe Femme à la jarretière (1878- 1879, Charlottenlund, Ordrupgaard) et deux autres pastels de nus à leur toilette. Degas fut-il influencé par l’exemple de son aîné ? Si l’idée a pu lui venir de reprendre le thème et de lui donner une ampleur inédite, il convient toutefois de rappeler que c’est bien lui, et non Manet, qui le premier entreprit en 1876-1877, en fréquentant les maisons closes, une série de monotypes ayant pour sujet la scène de toilette. 1. « Salon de 1886. VIII. Hors du Salon : Les Impressionnistes », La Justice , 26 mai 1886. 2. Joris-Karl Huysmans, « Du dilettantisme. Puvis de Chavannes. Gustave Moreau. Degas », Certains , Paris, Tresse & Stock, 1889. MANET / DEGAS | L’OBJET D’ART 61

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