Extrait L'Objet d'Art hors-série

La collection Morozov | L’OBJET D’ART 7 La Vague d’une ère nouvelle Le haut-relief La Vague ( La Mer de vie ) ouvre la présentation de la collec- tion Morozov. Signée par la sculptrice Anna Goloubkina (1864-1927), elle est emblématique à plus d’un titre. C’est d’abord celle de la première artiste femme à entrer à l’École de peinture, de sculpture et d’architecture de Moscou, à une époque où les femmes artistes font encore figure de pionnières et d’originales. Elle est ensuite représentative des liens tissés entre Moscou et Paris : Anna part en 1895 pour la capitale française où elle étudie à l’académie dirigée par le sculpteur Filippo Colarossi. Alternative progressiste à l’enseignement de l’École de beaux-arts de Paris, l’académie Colarossi accueille de nombreux étrangers, et les femmes peuvent, sans opprobre et à l’instar des hommes, y étudier le nu masculin. Comme Camille Claudel, passée aussi chez Colarossi, Anna Goloubkina devient en 1897 préparatrice dans l’atelier de Rodin. Elle s’imprègne alors de la sensibilité expressionniste du maître. Sa Vague est un hommage à la monumentale Porte de l’Enfer dont elle a vu la lente maturation dans l’atelier de Rodin. Commandée par Savva Morozov, cousin germain de Mikhaïl et d’Ivan, pour le Théâtre d’art de Moscou, haut lieu expérimental des arts du spectacle, La Vague incarne enfin par son symbolisme et son esthétique Art nouveau cette avant-garde mosco- vite, caractéristique des bouleverse- ments du « Siècle d’argent» russe (1890-1914). J.F. Focus — Anna Goloubkina , La Vague , maquette en plâtre pour le Théâtre d’art de Moscou, [1902-03] Épreuves gélatino- argentiques Moscou, galerie Trétiakov / musée-atelier Anna Goloubkina Photos service de presse © Galerie nationale Trétiakov / musée- atelier Anna Goloubkina, Moscou « Chtchoukine et les Morozov poursuivent un même objectif : constituer un vaste panorama de l’art contemporain français. » L’art moderne n’est-il pas aussi, pour ces grandes fortunes, un mar- queur social, un moyen de donner une image de progrès et d’audace ? Bien sûr. Il y a un effet d’émulation entre ces grands collectionneurs. En revanche, il apparaît clairement qu’ils ne sont pas en concurrence. Sergueï Chtchoukine et les Morozov bâtissent ensemble un musée d’art moderne français autour du noyau déjà consti- tué de la collection Trétiakov. C’est un projet concerté ? Oui, et attesté dès 1910. Chtchoukine et les Morozov se rendent régulière- ment à Paris, où ils achètent la majo- rité des œuvres de leurs collections respectives. Il faut rappeler qu’à cette époque, Paris est la villégiature à la mode en Russie, et la capitale mon- diale des arts. Toute l’intelligentsia russe descend au Grand Hôtel, place de l’Opéra, un palace fastueux – à l’image de cette société – qui est alors décrit comme le plus grand hôtel du monde. Il existe aussi une colonie russe, installée de manière permanente à Paris. Tout ce beau monde va aux ballets, aux concerts, fréquente les galeries et les Salons... En 1906, Sergueï Diaghilev (futur créateur des Ballets russes) orga- nise une gigantesque exposition d’art russe au Grand Palais, où sont présentées 1 500 œuvres, allant des traditionnelles icônes aux premiers tableaux de Vroubel. Parmi les prê- teurs figurent Sergueï Chtchoukine et les frères Morozov.

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