Extrait L'Objet d'Art

En 1971, le Grand Palais organisait la première rétrospective en France de l’œuvre de Francis Bacon, puis en 1996 le Centre Pompidou lui consacrait une grande exposition monographique. Qu’apporte aujourd’hui, en 2019, un troisième chapitre à sa réception française ? L’exposition organisée au Centre Pompi- dou en 1996 par David Sylvester n’avait pas accordé d’importance particulière aux œuvres des deux dernières dé- cennies car il les considérait comme moins intéressantes. Nous souhaitons au contraire montrer qu’à partir de 1971 et jusqu’à sa mort en 1992, Bacon at- teint dans son œuvre une ampleur et une puissance exceptionnelles. Réali- sées avec une remarquable économie de moyens, les toiles de cette période sont moins rugueuses, plus limpides et l’on trouve dans sa palette des couleurs absolument sidérantes. Le parcours commence en 1971, une année charnière. Le début de l’exposition s’articule autour de la rétrospective Bacon au Grand Pa- lais en 1971 qui fut une véritable consé- cration. Dans un contexte exceptionnel, l’artiste se confronte à l’ensemble de son œuvre, il peut mesurer le chemin par- couru et réfléchir à la suite. Sa peinture prend un nouveau tournant. Il multiplie les triptyques tandis que des motifs autres que la figure humaine (comme les tauromachies, les paysages et les jets d’eau) deviennent le lieu d’une maîtrise technique et poétique inédite. Il suffit de lire ses interviews tardives pour me- surer à quel point Bacon est conscient du basculement qui se produit en 1971, et pas seulement à cause de la fracture émotionnelle suscitée par le suicide de son amant George Dyer la veille du ver- nissage au Grand Palais. On continue à présenter la mort de Dyer comme un événement traumatisant pour l’artiste, mais je crois que c’est aussi un moment libérateur. Leur relation était violente, voire sadomasochiste si l’on en croit son biographe Daniel Farson, et cette fin tragique fut sans doute une manière pour Bacon de se libérer de la figure paternelle obsédante qu’il a recherchée dans ses relations amoureuses depuis son exclusion de la maison familiale à 16 ans. Les triptyques noirs réalisés entre 1971 et 1973, et présentés dans la pre- mière partie de l’exposition, expriment la dualité de ce moment. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette série de tableaux ? Il s’agit de trois triptyques réalisés au début des années 1970, pour exorciser le suicide de Dyer. Bacon peint le tout premier en 1971, En souvenir de George Dyer , un prêt de la fondation Beyeler à Bâle (voir p. 34-35) ; puis viennent le Triptyque août 1972 , issu de la collec- tion de la Tate Gallery à Londres, et le Triptyque mai-juin 1973 (voir p. 56-57 et 58-59). C’est un véritable événement car ils n’avaient jamais été réunis, alors qu’ils forment ensemble une dramatur- gie impressionnante. L’exposition rassemble par ailleurs un nombre important de prêts exceptionnels Three Figures and Portrait [Trois personnages et un portrait], 1975. Huile, pastel, résine alkyde et sable sur toile, 198 x 147,5 cm. Londres, Tate Gallery © The Estate of Francis Bacon. All rights reserved. DACS / Artimage 2019 Photo : Prudence Cuming Associates Ltd 6 L’OBJET D’ART HORS - SÉRIE BACON FRANCIS BACON, LE DERNIER DES GÉANTS

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