Extrait L'Objet d'Art

8 L’OBJET D’ART hors-série l n°132 aucun n’a vu le jour. Quelle est ici la part d’ironie ? C’est souvent la question qui se pose avec Lequeu. Élève de l’école de dessin de Rouen, le jeune homme fait preuve d’un certain talent et rejoint Paris où il obtient la protection du grand Soufflot. Pourquoi ne parvient-il pas à faire carrière ? C. L. B. : À la mort de Soufflot en 1780, il se retrouve sans protecteur. Il va longtemps essayer de faire carrière. Après la Révolution, il propose quelques dessins au Salon qui sont pour la plupart refusés, il participe en vain – et presque jusqu’à sa mort – à des concours pour des églises ou pour des bâtiments offi- ciels (Arc de triom- phe, église de la Madeleine). Le pro- blème de Lequeu – comme de nom- breux artistes de cette époque – est qu’il n’a pas de for- mation académique : il a étudié à Rouen dans une école gra- tuite de dessin (la première créée en France) et il n’a pres- que pas suivi les cours de l’Académie royale d’architecture à Paris. Certes, il arrive avec des lettres de recomman- dation de son professeur le peintre Jean- Baptiste Descamps, mais il n’a pas les réseaux nécessaires. Il va tout de même être reçu à l’Académie des beaux-arts de Rouen en 1786 et il mène avec le neveu de Soufflot que l’on appelle « Soufflot le Romain » un certain nombre de chantiers importants pour l’époque : le château de Montgermont aujourd’hui détruit, et l’hôtel de Montholon (Paris, 2 e arron- dissement) qui est conservé bien que défiguré. Il est alors chargé du suivi technique des travaux et de la décoration intérieure. J. R. L. : Lequeu est acteur de son temps. Sous la Révolution il devient ︶︵ Entretien lettre adressée à un ami ou un confrère. Pourtant, il faut souligner qu’il n’est jamais jugé comme quelqu’un de bizarre, il est même perçu par ses supé- rieurs comme un bon dessinateur et un bon élément. L’architecte semble pourtant très excentrique aujourd’hui… C. L. B. : On ne peut pas dire que Lequeu est excentrique, je dirais plutôt dé- concertant pour notre regard contem- porain. Son appa- rente « bizarrerie » tient en partie à sa culture livresque extrêmement réfé- rentielle, une culture que nous n’avons plus. Et il a incontes- tablement un univers personnel original. J. R. L. : On sait qu’il lit énormé- ment. Son inven- taire après décès nous apprend qu’il possède une bi- bliothèque consé- quente. Très sou- vent il agrémente ses dessins d’anno- tations qui peuvent surprendre au pre- mier abord et qui sont en réalité fidè- lement recopiées d’après des livres ; il s’agit le plus souvent de définitions empruntées aux dictionnaires et aux encyclopédies. On se rend compte qu’il s’appuie sur Les Métamorphoses d’Ovide, l’ Histoire naturelle de Buffon, le Songe de Poliphile de Francesco Colonna. Il lit aussi des ouvrages consacrés à la franc-maçonnerie et dans une feuille représentant les dernières épreuves de l’initié, il reprend mot à mot un texte de l’abbé Terrasson (voir p. 42-43). Lequeu est-il un artiste cultivé ? C. L. B. : C’est un autodidacte. Il lit ces ouvrages sans avoir forcément la culture académique qui lui permettrait de les assimiler totalement. Il sélec- membre de la société populaire et républicaine des Arts, société à l’idéologie assez extrême qui entend remplacer l’Académie royale suppri- mée. Il est même membre de la garde nationale. Pour autant il n’obtient aucune commande. Il faut dire qu’à partir de la Révolution les grands projets architecturaux vont être plus rarement menés à bien, les boulever- sements incessants ne le permettent pas. Claude-Nicolas Ledoux lui-même ne construit plus beaucoup après 1789. Lequeu va gagner sa vie en travaillant dans l’administration, pour le cadastre notamment. Lequeu semble être un homme singulier, son caractère pourrait-il expliquer son insuccès ? C. L. B. : Sans vouloir extrapoler, je pense que c’est un homme un peu difficile… Dans des textes écrits à la fin de sa vie il insulte certains confrères, les accuse d’entretenir des danseuses à l’opéra, de payer tel ou tel ministre pour obtenir un chantier. Il est devenu assez aigri. Mais si Lequeu n’a pas de succès c’est surtout parce qu’il n’a pas suivi le parcours académique classique. J. R. L. : Cerner sa personnalité reste complexe car on ne possède aucune Le Pignon de la pompe à feu et l’Intérieur de la laiterie Architecture civile (pl. 54). Plume, lavis et aquarelle 51,4 x 35,3 cm. Photo service de presse

RkJQdWJsaXNoZXIy MTEzNjkz