Extrait L'Objet d'Art

62 L’OBJET D’ART MARS 2022 LE PALAIS ROYAL DE TURIN LA ! DEMEURE DES SIÈCLES # DE LA DYNASTIE DES SAVOIE Conçue dans les années 1830 par le peintre architecte Pelagio Palagi (1775-1860), la cour du Palais royal de Turin est certes d’aspect majestueux. Pourtant, sa simple façade de stuc blanc ne laisse pas deviner la richesse des décors de cette demeure parmi les plus splendides d’Europe. / Par Bertrand de Royere, docteur en histoire de l'art L orsqu’Emmanuel-Philibert de Savoie (1528-1580), le duc « Tête de Fer », décida de transférer la capitale de ses États de Chambéry à Turin en 1563, il fallut bâtir la nouvelle rési- dence du souverain à l’emplacement du palais de l’évêché. Initié en 1584, le chantier fut long et souvent interrompu. On doit aux architectes Ascanio Vitozzi et Carlo di Castellamonte la construction du palais, mais la façade de Carlo Morello, longue de 107 mètres, ne fut édifiée qu’en 1668. On est également redevable à Morello du des- sin des riches plafonds baroques entièrement dorés réalisés par les sculpteurs de la famille Botto qui ornent l’étage noble, notamment les caissons sculptés d’hexagones, de rosaces et de pointes de diamant de la salle du Trône. À la même époque, le religieux théatin Guarino Guarini, mathématicien et architecte génial, édifia la chapelle du Saint- Suaire, dont on oublie souvent qu’elle fait partie intégrante du palais, et à laquelle on accède par la cathédrale Saint-Jean. Elle est surmon- tée d’un extraordinaire dôme aux puissantes nervures – pas moins de seize – qui, de l’aveu même de son architecte, créent un effet de kaléidoscope « de très noble vue ». FASTES DU ROCOCO L’histoire de la construction et des nouveaux décors du palais se poursuivit pendant deux siècles : on doit au Sicilien Filippo Juvarra la Scala delle Forbici (littéralement : « l’escalier des ciseaux »), chef- d’œuvre de stéréotomie réalisé en 1722, avec son arche hardiment projetée par-dessus le vide de la cage d’escalier, mais aussi le cabi- net des laques chinoises aux harmonies vermillon, noir et or, exécuté vers 1720. Quelques années plus tard, le président de Brosses, dans ses Lettres familières écrites d’Italie , le jugeamagnifique, mais triste. Juvarra imagina aussi la galerie Beaumont, au revêtement rocaille de stucs et de marbres vert de mer surplombé d’une voûte peinte par Claudio Francesco Beaumont (1694-1766) représentant l’histoire d’Énée (1732-1734). Cette salle fut transformée en une armurerie équi- pée de vitrines néogothiques à partir de 1834, curieuse synthèse de styles réussie dont les exemples sont nombreux au Palais royal. L’éclat et la variété des décors surprennent le visiteur : la Galleria del Daniel – du nom du peintre autrichien Daniel Seiter (vers 1647-1705) qui re- présenta l’apothéose de Victor Emmanuel II au plafond en 1688– reçut DÉCOUVERTE « La deuxième moitié du XVIII e siècle fut particulièrement brillante au Palais royal. Les cours de France et de Turin rivalisèrent d’élégance à l’occasion des nombreux mariages entre les deux dynasties. »

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