Extrait L'Objet d'Art

37 DÉCEMBRE 2020 L’OBJET D’ART Un pan de draperie dissimule son sexe. Une grande fissure dans lemarbre coupe obliquement son visage et se prolonge jusqu’à l’épaule droite ; ce faisant, elle laisse son œil droit inachevé. Michel-Ange eût-il voulu achever le visage que le marbre aurait risqué d’éclater. Cemême inachèvement semanifeste dans bien d’autres parties de la statue, dans sa chevelure, samain droite, la draperie, alors que toute la puissantemusculature est parfaitement finie et polie. Et telle quelle, dans cet inachèvement, il se dégage un sentiment pathétique de douleur ou de rébellion si éloquent qu’il se suffit à lui-même. Leur signification Selon Vasari, dans sa première version de la vie de Michel-Ange (1550), ils re- présenteraient « les provinces subjuguées par le pontife et soumises à l’Église apostolique » dans un monument à caractère triomphal. Mais pour Ascanio Condivi (1554), qui était censé avoir recueilli les explications tardives du sculpteur, ils personnifieraient les Arts libéraux attristés par la mort de leur protecteur. Le singe pourrait alors symboliser la Peinture, et le bloc sur lequel repose le pied droit de l’ Esclave rebelle , l’Architecture, ou plutôt, comme l'a fait remarquer Cristina Acidimi Luchinat, étant donné que Peinture et Architecture ne font pas partie du Trivium et du Quadrivium des Arts libéraux, il faudrait voir en eux la Grammaire (le singe tenant une sorte de rouleau) et la Géométrie. Il est peu probable, quelle qu’ait été la culture de Michel-Ange, qu’il ait voulu aller aussi loin dans ses intentions... Les Esclaves soustraits au monument funéraire de Jules II Mais, en 1544, Michel-Ange se trouva gravement malade et victime de vives critiques après le dévoilement de son Jugement dernier le 1 er novembre 1541 en présence du pape Paul III ; cette fresque avait fait scandale au vu de ses quelque 400 personnages – dont le Christ – représentés nus. Un peu décou- ragé, Michel-Ange décida de soustraire les statues de ses deux Esclaves nus au monument funéraire du pape, conscient que les temps avaient changé de- puis Jules II. Il ignora heureusement que son disciple favori et fidèle, Daniele da Volterra, serait chargé par Charles Borromée en 1565 (Michel-Ange étant mort en février 1564) de voiler pudiquement les parties génitales des personnages de la fresque, ce qui lui valut le sobriquet de « Il Braghettone ». Logé et secouru pendant sa maladie par Roberto Strozzi, et ne voulant pas encourir un nouveau reproche avec ses Esclaves nus, Michel-Ange les offrit en remerciement à son bienfaiteur et les remplaça par les statues de Rachel et Lea , Vie active et Vie contemplative, le monument de Jules II devenant purement chrétien dans une basilique catholique. Une odyssée de Rome au Louvre Strozzi gagna la France, en fit cadeau au roi Henri II qui, à son tour, les donna au connétable Anne de Montmorency. Celui-ci, grand amateur d’art, les installa aussitôt à la façade de son château d’Écouen. Quelque cent ans plus tard, les Esclaves furent curieusement offerts par Henri II de Montmorency à son bour- reau, le cardinal de Richelieu, puis ils passèrent entre les mains du maréchal de Richelieu, petit-neveu du cardinal. Un de ses descendants ayant émigré en 1792, ses biens, dont les Esclaves , furent confisqués par la Commission des Monuments qui souhaitait les vendre. Alexandre Lenoir réussit en janvier 1793 à les retirer de la vente et les achemina au dépôt des Petits Augustins. Après plusieurs transferts dans différentes salles du Louvre, ils ont pris définitivement place en 1994 dans la galerie dite Michel-Ange de l’aile Denon. Michel-Ange, Esclave rebelle , 1513-1515. Marbre, 218 x 72,4 x 73,5 cm. Paris, musée du Louvre. ©musée du Louvre, dist. RMN – R. Chipault LE CORPS ET L ' ÂME . DE DONATELLO À MICHEL - ANGE , SCULPTURES ITALIENNES DE LA RENAISSANCE

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