Extrait L'Objet d'Art

62 L’OBJET D’ART MARS 2020 SURSAUT ET GÉNÉROSITÉ Seule l’histoire tout à fait singulière du Musée des Arts Décoratifs explique la présence en plein cœur de Paris d’un trésor de près de 200 000 dessins dans le- quel des découvertes exceptionnelles peuvent encore être faites. Alors que les musées, dans la France du XIX e siècle, relèvent presque exclusivement de l’État, c’est à l’initiative de particuliers, qu’ils soient manufac- turiers, dessinateurs industriels ou artistes, que revient la création, en 1864, de l’Union centrale des Beaux-Arts appliqués à l’Industrie. Leur objectif est de répondre, grâce à un musée-école, aux effets de la révolution industrielle, qui affecte les modes de production des objets d’art et expose la France à une nouvelle concurrence internationale. Ces revendications et ces inquiétudes se cristallisent lors des Expositions universelles, tout particulièrement celle de Londres en 1851, suivie en 1852 par la création du Museum of Manufactures à Marlborough House (actuel Victoria and Albert Museum), et s’amplifient avec la signature du traité de libre-échange franco-britannique en 1860. Face auxmenaces, ces hommes ont une foi absolue dans les ressources du pays pour maintenir cette « vieille et juste prééminence » de « nos industries d’art, dans le monde en- tier ». Pour cela, ils veulent rompre avec les hiérarchies traditionnelles entre Beaux-Arts et arts utiles. Lemusée et la bibliothèque ouvrent place des Vosges (au n° 15, puis au n° 3) « au cœur de la fabrique de Paris », y compris le soir de 19h à 22h pour que les ouvriers puissent étudier après leur journée de tra- vail. Mais ces débuts restent dif- ficiles, à tel point qu’en 1877 est créée la Société du musée des Arts décoratifs, une nouvelle institu- tion dirigée par des aristocrates, des grands commis de l’État, des collectionneurs... La Société ex- pose au pavillon de Flore, avec un succès retentissant, des chefs- d’œuvre prêtés par des particu- liers. Souvent présentée comme concurrente de l’Union centrale, la Société a peut-être été pensée dès l’origine comme un relais de celle-ci pour la défense d’un but commun. Quoi qu’il en soit, les deux institu- tions fusionnent en 1882 pour fonder l’Union centrale des Arts décoratifs, ancêtre de notre Musée des Arts Décoratifs. Principal artisan de cette refondation, Philippe de Chennevières, grand collectionneur, ancien directeur des Beaux-Arts et président intérimaire de la Société du musée, prend l’initiative d’une exposition des des- sins de décoration et d’ornement des maîtres anciens au palais de l’Industrie en 1880. L’événement fait date. L’année précédente, l’école des Beaux-Arts avait orga- nisé la première exposition jamais consacrée en France au seul dessin. Chennevières renouvelle l’exploit en se André Charles Boulle (1642- 1732), Projet de guéridons , vers 1685. Sanguine, plume et encre brune, traces de pierre noire sur papier vergé, 32 x 17,5 cm. Achat, 1885. © MAD, Paris / Photo : Jean Tholance LE DESSIN SANS RÉSERVE

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