Extrait L'Objet d'Art

70 L’OBJET D’ART MARS 2019 étaient des éléments exceptionnels, venant d’une des collections parmi les mieux achalandées de Russie : celle de la famille princière Youssoupov. Rebaptisé en 1937 musée « Pouchkine », le musée des Beaux-Arts bénéficia dès 1948 de la fermeture dumusée d’Art mo- derne occidental puisqu’il recueillit l’intégralité de son fonds graphique. Composé de feuilles d’artistes russes mais aussi de Picasso, Matisse ou Toulouse-Lautrec, pour ne citer que ces noms emblématiques, ce nouvel apport fit du musée Pouchkine un des plus importants musées de dessins européens. Par la suite, de nom- breux achats et dons complétèrent ces collections, qui comprennent aujourd’hui des œuvres contemporaines russesmajeures, notamment des années 1960 à 1980. Le rôle de critiques d’art et conservateurs russes, tel Andreï Erofeev, a du reste été déterminant pour la ré- union de ces œuvres méconnues de l’ex-Union sovié- tique, fréquemment acquises dans les ateliers mêmes des artistes. Ce pourrait du reste être un autre volet passionnant d’une présentation d’œuvres sur papier pour le public français, guère familiarisé avec l’art russe de la fin du XX e siècle. ENCADRER LE DESSIN Mais ce n’est pas cette période qui a été retenue pour l’exposition, qui débute à la Renaissance pour se clore à la fin des années 1930 : l’œuvre la plus tardive est une nature morte de Fernand Léger à la gouache : Trois Fleurs et dominos , de 1937. Les différences de propos et de manières des œuvres sur cinq siècles évitent toute monotonie dans l’accrochage : on passe des cro- quis à la sanguine du Parmesan et des ébauches à la plume d’Annibal Carrache aux gouaches et aux aqua- relles très finies de Gustave Moreau ou d’André Lhote. Mais l’espace est également animé par la variété des cadres qui reconstituent en trompe l’œil l’accrochage d’une collection privée. Car si la majorité des dessins sont sagement bordés d’une simple baguette de bois brun, une petite partie d’entre eux sont agrémentés de bordures anciennes, tel le Prophète à la plume du maniériste Taddeo Zuccaro ou le Centaure à la pierre noire de Rubens. Ces cadres ornés d’oves, de perles et parfois dorés à la feuille agissent comme de discrets repères pour l’œil du spectateur et scandent de leur rythme heureusement irrégulier le passage d’une salle à l’autre. Le nu féminin de Boucher aux trois crayons et pastel, magistral de force et de sûreté, est de la sorte mis en valeur par un cadre Louis XVI à décor de fleurs et de rubans au-dessus de la cheminée. Une ravis- sante gouache érotique de son gendre, Pierre-Antoine Baudouin (1723-1769) est placée en regard, ainsi qu’un lavis de Fragonard. L’illusion est totale : on pourrait se trouver dans le salon de la comédienne Jeanne Fran- çoise Quinault, amie de Boucher et fondatrice de la so- ciété du « Bout du banc », invité chez elle à un souper fin après une représentation théâtrale... Dans cette pièce où sont réunies des feuilles d’artistes parisiens, on comprend d’autant mieux le goût russe pour l’art français du XVIII e siècle et les liens qui rapprochaient les deux pays autour des Lumières. LES COULEURS DE LA RUSSIE Le fameux dessin préparatoire pour l’Hersilie de L’Enlèvement des Sabines de David, déjà montré en France pour la rétrospective de 1989, fait la transition avec la salle dédiée au XIX e siècle, où plusieurs aqua- relles de Caspar David Friedrich raviront les férus de ro- mantisme. De même, on ne pourra qu’être frappé par le monumental Portrait à la sanguine de jeune femme de Renoir, don de Mikhaïl Morozov à la galerie Tretiakov, passé ensuite du musée national d’Art moderne aumusée Pouchkine. Mais c’est au sous-sol que l’expo- sition est peut-être la plus originale : c’est en effet un déferlement de couleurs, qui consacre l’art de Matisse, Paul Klee, Robert Delaunay, Emil Nolde ou Franz Marc, notamment évoqué par un rare Petit Taureau rouge à la tempera sur papier de 1912. Picasso, qu’on imaginerait Pablo Picasso (1881-1973), Étude pour la Composition à la tête de mort , 1908. Gouache et aquarelle sur un tracé au graphite, 32,3 x 24,9 cm. © Succession Picasso 2019 Bons dessins de Russie

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