Extrait L'Objet d'Art

60 L’OBJET D’ART NOVEMBRE 2018 conventions académiques. Picasso, Braque, Derain trouvent dans lessculpturesdeGauguin et dans les arts primitifs des contre-modèles aux formes classiques. En 1906, Derain dé- couvre l’art africain et océanien au British Museum et l’année suivante, Picasso visite le Musée d’ethnographie du Trocadéro. Ils ont la révélation d’une beauté moderne, totalement différente de celle, classique, du XIX e siècle : une beauté sauvage, intense, qui puise ses racines dans l’art africain et forge les nouveaux canons (encore actuels !) de l’art occidental. L’autre grande source des cubistes, c’est Cézanne, « notre père à tous », comme di- sait Picasso. Il meurt en 1906 et une grande rétrospective de sonœuvre ouvre l’année sui- vante à Paris. Sa célèbre leçon de peinture, « traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône », donne naissance aux « petits cubes » des paysages de Braque et Picasso, qui lanceront le mot « cubisme » en 1908. On présente souvent le chantier des Demoiselles d’Avignon comme l’acte de naissance du cubisme. Qu’en est-il vraiment ? Le tableau, en réalité, n’a pas bougé de l’ate- lier de Picasso au Bateau-Lavoir, et a été peu vu. Il reste dans le secret de l’atelier jusqu’à son départ pour les États-Unis, en 1936. C’est le « chef-d’œuvre inconnu », comme dans la nouvelle de Balzac. Tout le monde en parle mais personne ne l’a jamais vu ! Il n’est ex- posé qu’une seule fois, en 1916. Une poignée de proches a cependant eu accès au tableau dès le début : pour Braque, c’est un choc, un « tableau d’exorcisme » auquel il répond fin 1907 par son Grand Nu (présent dans l’ex- position). Mais Derain, le marchand Daniel- Henry Kahnweiler ou encore Apollinaire prennent peur en découvrant l’œuvre ! Au- jourd’hui, nous y sommes habitués, mais en 1907, la composition frappe par sa violence et effraie même l’avant-garde artistique. Il n’était malheureusement pas possible de l’obtenir en prêt, c’est la Joconde du Museum of Modern Art (MoMA) de New York ! De quelle façon ces expériences confidentielles s’élargissent-elles à d’autres artistes ? Comment le cubisme devient-il un mouvement ? Braque et Picasso ont rejeté dès le départ l’idée d’un groupe : après leur rencontre en 1907, ils ne se quittent plus et travaillent ensemble, en parfaite complicité, dans leurs ateliers parisiens (ils vivent tous deux à Montmartre), ou dans le village catalan de Céret, où ils se retrouvent à l’été 1911. Ils ne cherchent pas l’approbation du public ou des autres artistes et n’exposent qu’au compte- goutte, chez un jeune marchand alors in- connu, Daniel-Henry Kahnweiler. L’imitation de leurs œuvres se fait donc plus à travers leurs ateliers que par le biais des galeries – le Bateau-Lavoir est très ouvert à la communau- té artistique. Leurs innovations finissent par se diffuser, presque malgré eux. Le cubisme prend alors des visages très différents en fonction des artistes... En effet. Fernand Léger et Juan Gris réin- troduisent le sujet et la couleur, écartés par Braque et Picasso. Sonia et Robert Delaunay s’engagent aussi dans cette « bataille de la couleur ». Guillaume Apollinaire donne le nom « d’orphisme » à leur peinture, qui exacerbe Pablo Picasso, Les Demoiselles d’Avignon , 1907. Huile sur toile, 243,9 x 233,7 cm. New York, The Museum of Modern Art. Photo The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence © Succession Picasso 2018 Juan Gris, Le Petit Déjeuner , 1915. Huile et fusain sur toile, 92 x 73 cm. Paris, musée national d’Artmoderne – Centre Pompidou. Photo service de presse / Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. RMN– P. Migeat Toutes les facettes du cubisme

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