Extrait L'Objet d'Art

PARIS BOURDELLE ET L’ANTIQUE Dans l’écrin intimiste de l’atelier du sculpteur, la nouvelle exposition du musée Bourdelle dévoile avec brio l’apport de la statuaire grecque archaïque dans le cheminement de l’artiste vers la modernité. antiques) et œuvres originales du sculpteur, l’exposition invite ainsi le visiteur à décrypter les sources multiples qui ont présidé à la genèse de huit chefs-d’œuvre prônant cet « archaïsme moderne ». Le regard est aussitôt happé par l’extraordinaire présence de ce Torse de Pallas aux bras amputés, jaillissant du vide tel un fragment de déesse exhumé du sol grec. Sensuelle et impérieuse tout à la fois, la divine Athéna au visage sévère s’est parée du calme souverain des idoles, ses formes féminines synthétisées en une immuable colonne. Ironie du sort, un autre sculpteur s’essaie au même moment à cette entreprise ambitieuse de décantation de l’Antique : Aristide Maillol, dont La Méditerranée est également présentée à Paris à l’automne 1905. « La sculpture, c’est de l’architecture, l’équilibre des masses [...]. Je pars toujours d’une figure géométrique, carré, losange, triangle, parce que ce sont des figures qui tiennent le mieux dans l’espace. Ma Méditerranée est enfermée dans un carré parfait », résumera l’exact contemporain et rival de Bourdelle. Vers 1909, un autre chef-d’œuvre surgit de l’imagination féconde du sculpteur : cet Apollon au combat dont la gestation s’éta- lera sur plus de dix années. D’un visage modelé d’après nature vers 1898, Bourdelle dégagera cette tête farouche aux traits secs et osseux sur laquelle souffle l’inspiration di- vine. « Modeler c’est détruire, construire c’est créer », résumera le maître. Germaine Richier, qui fut son élève à l’Académie de la Grande Chaumière, retiendra magistralement la leçon, comme en témoigne son Buste n° 12 de 1933-1934, à l’épiderme vio- lemment strié. Mais s’il est une œuvre qui accéda immédiatement au rang de chef- d’œuvre dès sa présentation au pu- blic, en 1910, c’est bien l’ Héraklès Archer , bloc de virilité tiraillé entre tension et souplesse, alternance de vides et de pleins. Lorsqu’il sculpte ce « Je suis arrivé à l’école de Toulouse. Il y avait des peintres et des sculpteurs. J’ai fait de la peinture enmême temps que de la sculpture, j’ai fait beaucoup de dessins, j’étais capable de faire un antique très froid. » C’est en ces termes laconiques qu’Antoine Bourdelle résume- ra ses années de formation académique lorsque, comme pour bon nombre de jeunes artistes de son époque, il lui incombait de copier à l’identique des kilomètres de bas-reliefs et de moulages gréco- romains. Heureusement, le contact direct avec les vestiges archéo- logiques et la fréquentation assidue desmusées (dont le Louvre qu’il découvre dès son arrivée à Paris à l’âge de 22 ans) vont considérablement faire évoluer le regard de l’apprenti-sculp- teur. Ainsi, la Grèce antique ne se résume pas à ces cortèges de divinités aux oripeaux usés, mais s’avère plutôt un formi- dable stimulus pour l’imaginaire, un vivier inépuisable peuplé d’Aphrodites sensuelles et de héros traversés par une fureur guerrière. À l’heure où Sigmund Freud ausculte les tréfonds de l’âme humaine à l’aune desmythes antiques pour établir les fon- dements de la psychanalyse, Antoine Bourdelle rejette le carcan de l’académisme pour puiser son inspiration dans les premiers frémissements de la statuaire grecque. Comme si ce retour à l’archaïsme le plus rude, le plus âpre, allait libérer le geste de l’artiste de toute afféterie docile, de toute joliesse aimable. Confrontant sources visuelles (moulages, terres cuites, vases Apollon au combat , modèle définitif, 1909. Bronze, fondu par Rudier vers 1930, 67 x 23,7 x 28,2 cm. Paris, musée Bourdelle. Photo service de presse. © Stéphane Piera / musée Bourdelle / Roger-Viollet Pénélope avec socle , modèle à grandeur d’exécution, 1912. Plâtre, 240 x 84 x 71 cm. Paris, musée Bourdelle. Photo service de presse. © Stéphane Piera / musée Bourdelle / Roger-Viollet 4 L’OBJET D’ART DÉCEMBRE 2017 EXPOSITIONS

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