Extrait Religions & Histoire (hors-série n°10)

Le frisson vodou La réputation sulfureuse du vodou (ou vaudou 1 ) date des époques précoloniale et coloniale. On a cru le racisme définitivement révoqué, le vocabulaire péjoratif dépassé et la condescendance abandonnée. On a cru que refaire le procès de l’ethnocentrisme propre à ces temps que l’on pensait révolus reviendrait à enfoncer des portes ouvertes. Hélas, non! La fermeture de ces portes est automatique et l’accusation de primitivité revient inlassablement, parfois dans les plus hautes sphères du monde occidental, avec une niaiserie stupéfiante. À partir des années 1920, plusieurs auteurs, en s’appuyant notamment sur l’œuvre de Durkheim, avaient révélé la dimension proprement religieuse des cultes jusqu’alors réputés « primitifs ». Mais il faut encore et toujours recommencer, même si on pensait que les Price-Mars, Herskovits, Métraux, Maupoil, Verger, Bastide, Thompson et quelques autres avaient déjà réha- bilité le vodou et mis en pièces les imputations de diablerie et de satanisme dont les missionnaires avaient affublé ces dieux vaincus. Depuis longtemps, le délicieux frisson de l’horreur sature toute une production littéraire et cinématographique consacrée aux sortilèges du vodou, avec des cortèges de sacrifices sanglants, d’exhibitions du corps, de décharges d’affects, de transes, de possessions, d’orgies, d’ophio- lâtrie, de morts-vivants et de zombies. Dimitri Béchacq rappelle dans ce dossier le péril qu’a constitué pour les puissances coloniales l’indépendance d’Haïti ; il montre l’influence d’un auteur comme Moreau de Saint-Méry, dont les descriptions hautes en couleurs du vodou nour- rirent l’imaginaire occidental. Toutes les variantes de cet exotisme fantasmé présentent comme dénominateur com- mun de se délecter des excès mêmes qu’elles dénoncent. Les bacchanales, avec leurs effroyables séductions, n’avaient-elles pas menacé Rome ? On les condamna donc, tout en se repaissant de leurs vices supposés. La fascination exotique, son « pouvoir de l’horreur » pour parler comme Julia Kristeva, a quelque chose à voir avec l’ambiguïté de l’abject ou l’abjection ( Pouvoirs de l’horreur. Essai sur l’abjection , Paris, Seuil, 1983). Cette ambiguïté repose sur la difficulté de faire la distinction entre soi et l’autre, entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’attraction et la répulsion. L’article de Nicolas Vornax, consacré à la magie et à la médecine vodou, a le mérite d’aborder, fût-ce en passant, l’énorme production d’une imagerie façonnant à son tour toute une culture populaire relative au vodou, notamment dans les films d’horreur et dans la littérature. Dangers de l’ethnocentrisme et difficultés méthodologiques Dans la culture euro-américaine, les cultes vodou, ceux du berceau africain comme ceux du Nouveau Monde, ont longtemps été considérés comme des tissus de superstitions sanguinaires et maléfiques. 4 Qu’est-ce que le vodou ? Par-delà les fantasmes occidentaux Jean-Paul COLLEYN , anthropologue et cinéaste, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, directeur du Centre d’études africaines Sacrifices humains en Louisiane , page du Petit Journal , supplément illustré, 21 avril 1912 . Le journal rapporte comment une femme de La Fayette (Louisiane) accusée d’une série de meurtres se défendit en affirmant être une prêtresse vodou qui n’avait fait qu’accomplir un rite religieux. On voit combien l’image offre une vision fantasmée du vodou (mêlé à divers éléments exotiques, comme le totem indien). © Akg-images

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