Histoire de l'Antiquité à nos jours

37 Alors viendront les chefs-d’œuvre, Mauprat , se passant au fond du terroir dans une vieille famille française, où une demoiselle aimant les livres tente de faire l’instruction d’un cousin inculte dont elle est amoureuse ; Consuelo , qui met en scène une jeune cantatrice – personnage inspiré par la grande amie Pauline Viardot – et nous emmène avec elle à Venise, puis dans la Vienne de Marie-Thérèse, où nous rencontrons le jeune Haydn, puis au cœur de la Bohême, enfin dans le Berlin du grand Frédéric ; Le Piccinino , une histoire de bandit sicilien, au pied de l’Etna ; Les Beaux messieurs de Bois-Doré , un roman de cape et d’épée, situé dans les années troubles qui suivirent l’assassinat d’Henri IV ; Francia , qui se déroule dans le Paris occupé de 1814, en contre- point des terribles jours de 1870-1871, qu’elle n’a pas vécus sur place, étant à Nohant ; Ma sœur Jeanne , publié deux ans avant sa mort, ayant pour cadre le Sud-Ouest. Et bien d’autres. Les deux premiers « romans champêtres », La Mare au diable et François le Champi ont été pour George Sand un délassement dans les années intenses précédant la révolution de 1848, où elle parti- cipait au combat politique. Elle écrivit La Petite Fadette , le meilleur des trois, quand elle regagna Nohant au printemps 1848, après sa courte période de militante politique révolutionnaire à Paris. Une pièce de George Sand, Le Mariage de Victorine , est à l’affiche quandéclate le coupd’État du2décembre1851. Entre Cosima , jouée par Marie Dorval au Théâtre-Français en 1840, et L’Autre à l’Odéon avec SarahBernhardt audébut de1870, cesœuvres de théâtre, par- fois un peu verbeuses, sont des mélos bien de leur époque qui n’ont pas eu la chance d’êtremis enmusique par unVerdi. Elle a écrit aussi, à la première personne, des Lettres d’un Voyageur , commencées à Venise et continuées à son retour en France. C’est en 1834, quand elle a 30 ans, au dénouement de l’affaire Musset, que George Sand signe avec François Buloz, fondateur et directeur de la Revue des Deux Mondes un contrat lui assurant la propriété de ses Mémoire s encore à écrire. Ce n’est pourtant qu’en 1847, quand Chopin quitte Nohant définitivement, qu’elle commence Histoire de ma vie , qui sera d’abord publiée en feuilleton dans La Presse d’Émile de Girardin en 1854. La première partie, grosse de plusieurs centaines de pages, est Histoire d’une famille, de Fontenoy à Marengo , soit avant la naissance de celle dont l’exis- tence a été jugée digne d’être racontée. Les dernières années de la vie de l’auteur sont parcourues au galop, avec de belles envolées. Il lui reste alors plus de vingt ans à vivre. Quand surviendra le conflit avec la Prusse en 1870, elle tiendra un Journal d’un Voyageur pen- dant la guerre , où elle sera très hostile à Gambetta. La paix revient après le désastremilitaire et la sanglante crise pari- sienne. La dame de Nohant, comme quasiment toute la France de province, est profondément anti-communarde. Il faut se changer les idées. Elle semet alors à écrire le plus merveilleux peut-être de ses ouvrages, les Contes d’une grand-mère , destinés à ses petites- filles Aurore et Gabrielle, les filles de Maurice, le montreur de marionnettes, et de son épouse, la charmante Lina Calamatta, fille d’un graveur italien venu travailler à Paris. Lina sera une épouse et une bru parfaite, dédommageant la maman des avatars de sa fille Solange, mal mariée au sculpteur Clésinger, mère de deux enfants morts en bas âge, séparée de son mari et menant une vie disso- lue. Placide Verdot, photographe à Châteauroux, qui a été invité à fixer cette scène familiale, nous montre un après-midi tranquille à Nohant, avec Maurice Sand, sa femme et les jeunes demoiselles, un an avant le décès de l’aïeule. Nous sommes le 26 avril 1875. La vieille dame de Nohant meurt dans l’année qui suit, le 8 juin 1876. Huit ans plus tard, Jules Ferry met au programme des écoles primaires les trois romans « champêtres » de George Sand. C’est un cadeau posthume à l’écrivain, mais c’est d’une certaine façon un cadeau empoisonné, car la postérité ne retiendra que ceux-là. Au début de sa Recherche ,Marcel Proust fera lireà lamèredunarrateur François le Champi pour endormir son enfant, et le même François le Champi se retrouvera à la toute fin de l’œuvre dans la bibliothèque du prince de Guermantes. De nombreux titres de Sand, et pas seulement ceux-là, sont aujourd’hui disponibles en livre de poche. Si la « grande dame » des lettres françaises a ses admi- rateurs comme Sainte-Beuve, Flaubert et beaucoup d’autres, elle a également ses dépréciateurs, parfois impitoyables. Ainsi Charles Baudelaire n’hésite pas à pro- noncer sur elle ce jugementméchant, bien dans le style de l’homme : « Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ». Les chiens aboient, la caravane passe. • SAND George, Mauprat , Consuelo, etc . POUR EN SAVOIR PLUS Nohant, photographie de Placide Verdot (1827-1889), 1875. George Sand est à gauche sous une ombrelle, entourée de ses deux petites-filles, Aurore et Gabrielle, et à droite son fils Maurice Dudevant-Sand avec son épouse Lina Calamatta, le 26 avril 1875. BnF, Paris. © BnF.

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