Extrait Dossier de l'Art

DOSSIER DE L’ART 292 / 5 Vous ouvrez le catalogue de l’ex- position en rappelant que l’Europe culturelle s’est choisi pour mère la Grèce. Est-ce l’histoire que vous avez souhaité raconter ici ? À l’origine de cette exposition, il y a en effet la place très particulière qu’oc- cupe la Grèce dans la culture euro- péenne. Mais ce qui nous a particu- lièrement intéressés, c’est de croiser les regards portés sur cette histoire, ceux des différents pays européens qui se sont nourris de références à l’Antiquité grecque, et celui des Grecs eux-mêmes depuis l’indépendance du pays. Si l’on prend l’exemple des Français, il n’y a pas pour eux une Grèce, mais plusieurs : la Grèce du XVIII e siècle n’est pas celle du XIX e , et la Grèce de Rodin n’est pas non plus celle de Picasso. Chaque génération a défini un rapport avec la Grèce qui lui est propre ; ces différents regards influencent en retour la relation des Grecs à leur propre histoire. Les Grecs d’aujourd’hui savent par exemple qu’ils doivent aux Allemands une certaine idée de la Grèce, à la France une autre. C’est ce que nous avons eu envie d’explorer. Les collections du Louvre sont un point de départ rêvé pour raconter cette histoire. Pouvez-vous nous rappeler pourquoi ? Comme je l’ai écrit, nous aurions pu appeler cette exposition, pour paraphraser Jacqueline de Romilly, « Pourquoi la Grèce ? ». Or, il est évident que si elle s’était tenue à Berlin, elle aurait été bien différente, car ici se pose naturellement la ques- tion : « Pourquoi la Grèce au Louvre ? » Chaque œuvre a une biographie, et toutes sont des ambassadrices des liens que nous avons noués au fil des époques avec la Grèce. Prenons la Vénus de Milo. L’exposition offre une occasion rêvée d’expliquer pourquoi cette sculpture est en France. Si elle avait été découverte à Samothrace ou à Lesbos, elle ne serait pas au Louvre. Elle s’y trouve aujourd’hui parce qu’en 1820, il y avait des militaires fran- çais à Milos. Il est bon aussi de rap- peler qu’on peut voir au Louvre des œuvres grecques qui sont en France depuis le XVII e siècle. Le marquis de Nointel, ambassadeur de Louis XIV, s’intéressait particulièrement aux textes antiques, ce qui l’a conduit à rapporter essentiellement des ins- criptions, évocatrices d’une certaine Grèce. L’exposition évoque aussi la redécouverte de l’archaïsme et de la couleur à la fin du XIX e siècle. La tête du Cavalier Rampin , par exemple, était en collection privée lorsqu’elle fut présentée à l’Exposition univer- selle, et c’est seulement en 1896, alors qu’on redécouvrait l’archaïsme, qu’elle entra au Louvre. Le phénomène était très nouveau : on n’aurait pu voir une seule œuvre d’art grec du VI e siècle en France au XVIII e siècle. Quand commence l’histoire que vous retracez, sous Louis XIV, qu’est-ce qui fait naître l’intérêt pour l’Antiquité grecque, et comment le définir ? Il y a un paradoxe au XVII e siècle : la conquête ottomane de la fin du XV e siècle explique que la Grèce soit alors largement méconnue, et pour- tant elle est sacralisée dans la litté- rature, qui regorge de références à Apelle, Zeuxis, Praxitèle... L’intérêt pour le pays est alors, comme on le sait, essentiellement consulaire et privilégie largement la culture écrite, dans une approche qu’on a qualifiée de philologique. Les premiers docu- ments et inscriptions qui arrivent, des- tinés au cabinet du roi, vont nourrir la connaissance intellectuelle de la civi- lisation grecque : il s’agit de traduire des textes grecs, de copier des manus- n Tête du Cavalier Rampin , vers 550-540 av. J.-C. Marbre de Paros, H. 27 cm Paris, musée du Louvre Photo service de presse © musée du Louvre, dist. RMN – T. Ollivier

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