Extrait Dossier de l'Art

DOSSIER DE L’ART 274 / 9 l’Enfant, le dessin devient l’occasion de réfléchir à de multiples possibi- lités : Léonard n’hésite pas à défor- mer l’anatomie, il superpose les idées jusqu’à créer une sorte de tache. C’est par la liberté laissée à la main qu’il s’emploie à transcrire le mouve- ment physique, et le mouvement de l’âme qui lui est associé. Tout comme les poètes, lorsqu’ils écrivent leurs vers, raturent, il faut, dit Léonard, faire de même en dessinant. C’est ce qu’il théorisera ultérieurement par Comment se structure, à partir du lien inaugural à la sculpture, l’évolution pic- turale de Léonard ? LF Vient un moment, à la fin des années 1470, où le primat de l’ombre et de la lumière, du clair-obscur, s’associe à une liberté graphique et picturale révolutionnaire qui fait en quelque sorte basculer son œuvre. Il va s’employer alors à inventer un univers pictural nouveau, qui marque pour les contemporains une césure fondamentale ; on l’appellera « l’art moderne ». Les catégories qui, chez Vasari, portent entièrement la moder- nité correspondent ainsi à des révolu- tions internes au développement de Léonard : la liberté extraordinaire du geste, une conception de l’imitation qui aboutit à la transcription de la mobilité propre à la vie. Dans quelles œuvres perçoit-on le mieux cette évolution ? VD À la fin des années 1470, notam- ment dans des études de Vierge à Lumière sur les célèbres draperies de Léonard La nouvelle traduction de la Vie de Léonard de Vasari a permis de saisir la véritable finalité des célèbres études de draperies exécutées à la détrempe par l’artiste. Louis Frank revient sur cette découverte. Dans son édition du texte de Vasari, établie en 1850, Milanesi a modifié un mot du texte original parce qu’il ne le comprenait pas. Et personne, depuis 150 ans, ne s’était demandé ce que pouvait bien signifier le mot employé par Vasari dans ce texte si célèbre sur les draperies. Milanesi écrit que Léonard faisait des « modèles » de figures de terre qu’il recouvrait de draps impré- gnés d’argile. En réalité, Vasari n’a pas écrit « modèle », mais « médaille ». L’étude sémantique permet de comprendre que ce medaglie correspond à « médaillon ». Ainsi s’éclaire le sens du texte : le médaillon est un relief qui permettait à Léonard de créer une œuvre d’assez grande dimension. Un tel objet en relief permet d’observer précisément la gradation des valeurs lumineuses. Cette interprétation est confirmée par l’existence d’un plan abstrait qui coupe la draperie, et que l’on retrouve sur toute la série d’études de drapés. Non seulement ce plan n’avait jamais été observé avant, mais il y avait même une rhé- torique de la description qui attribuait toutes les qualités à ces draperies, à leur texture. Désormais on comprend que ces draperies sont en fait détourées, exactement comme le relief, sur un fond neutre. Le fond du dessin est donc le plan sur lequel se détachait la médaille, et en aucun cas un arrière-plan réel . Autrement dit, ces dessins ne peuvent être vus comme des études de drapé. Ce qui fascine Léonard ici, c’est l’ombre et la lumière. L’intérêt du motif est d’être délié de toute considéra- tion de ressemblance, d’expressivité. C’est tout simplement la chose la plus neutre qu’il ait pu trouver. Par ailleurs, il connais- sait bien cet exercice de modelé en demi-relief, les médaillons étant une pratique courante dans l’atelier de Verrocchio. Q Leticia Leratti, Restitution du médaillon de la Draperie Saint-Morys, 2019. Argile et drap de lin, 75 x 70 x 25 cm. Photo Jeanne Faton Q EN HAUT. Draperie Saint-Morys. Légende complète, voir p. 29 © RMN (musée du Louvre) – M. Urtado

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