Extrait Dossier de l'Art

DOSSIER DE L’ART 263 / 9 posé des normes académiques. Ils s’intéressent à l’utilisation du bois, de la taille brute, comme l’avait fait Gauguin, mais sont frappés aussi par le caractère composite des objets faits à partir de rebuts ainsi que par ces sculptures en plans qui inversent les rapports entre certaines parties du corps – procédé que l’on retrouve dans les figures-guitares de Picasso. A. C. : Chez Cézanne puis chez les cubistes se déploie une manière de construire les corps, les scènes, les paysages, qui demeure figurative mais qui renonce délibérément aux res- sources classiques ; dans cette voie, la découverte des arts premiers a été un guidedepremière importance. Ce sens renouvelé de la structure est évident chez un artiste comme Fernand Léger, qui privilégie la ligne et le dessin. est secondaire et témoigne d’une dis- tance inédite vis-à-vis du modèle : celui-ci perd son rôle au profit du rap- port entre des formes et un fond. Quel pas restait-il à franchir aux cubistes, après lui ? B. L. : L’invention d’une beauté nou- velle, ambition qui s’incarne dans les Grandes Baigneuses de Cézanne, passe, chez les cubistes, par la leçon du primitivisme. Pour eux, comme pour Vlaminck ou Derain, regar- der les arts tribaux, c’est trouver quelque chose de nouveau, à l’op- cubiste ». Parallèlement, certains artistes poursuivent dans la veine de l’académisation, de la géométrisa- tion de la représentation, dans une sorte d’art du juste milieu qui n’est pas vraiment satisfaisant. Les Salons entraînent-ils l’internatio- nalisation du mouvement ? B. L. : Je dirais plutôt que les Salons témoignent de l’internationalisa- tion du cubisme. Mondrian expose ses premières œuvres cubistes aux Salons de 1912 et 1913, suivis par les peintres russes en 1914. Le cubisme s’est donc diffusé très tôt bien au-delà de Paris. Malévitch n’y est jamais venu, mais il a déjà pris connais- sance des recherches cubistes en lisant Les Soirées de Paris et il envoie trois peintures aux Indépendants de 1914. Nous évoquons bien sûr le rôle majeur du cubisme dans la naissance du néoplasticisme de Mondrian et du suprématisme de Malévitch, qui reposent tous deux sur la doxa de l’orthogonalité. Mondrian séjourne à Paris entre 1912 et 1914. Sous l’in- fluence du cubisme, sa peinture se métamorphose, ce qui fait de lui l’héritier peut-être le plus direct des cubistes, même si son travail a une dimension plus utopique. De leur côté, l’œuvre et les écrits de Malévitch témoignent de l’impact du cubisme sur toutes les avant-gardes russes. À l’opposé, l’exposition remonte aux sources du cubisme. Peut-on dire de Cézanne qu’il est le premier cubiste ? B. L. : Il n’est pas cubiste, mais il prépare sans conteste le terrain du cubisme. On décèle chez lui l’amorce de la déconstruction de la forme, d’un travail reposant uniquement sur la modulation de la touche, et, dans les toutes dernièresœuvres, la disparition complète de la perspective au profit d’une vue frontale. Dans ses derniers tableaux, on ne sait plus où se situent le haut et le bas ; on est aux limites de l’abstraction. Nous montrons à l’expo- sition la Femme à la cafetière (p. 17), une œuvre où le sujet, manifestement, Kazimir Malévitch, Samovar , 1913 Huile sur toile, 88,5 x 62,2 cm New York, The Museum of Modern Art Photo service de presse / 2018. Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence

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