Extrait Art et Métiers du Livre n°331

AML N° 331 27 S es livres ne se ressemblent pas. Ils explorent des chemins de traverse. Varier les matériaux, diversifier les structures, s’adapter à la demande des clients… Prisca Joubert suit pourtant la même méthode de travail, partant de la matière du texte qu’elle lit crayon en main : « J’effectue un gros travail sémantique en écrivant des colonnes de champs lexicaux. Ensuite, je compose des planches d’inspira- tion qui illustrent le thème important à mettre en scène. » Les matériaux entrent dans la danse. Ils rendent tangible ce qui l’a touchée.Monde de cuivre et de maillechort pour raconter les mines du Nord au début du XX e siècle dans L’Empreinte du dieu de MaxenceVan der Meersch : « J’ai dessiné un labyrinthe métallique qui évoque l’enfer- mement psychologique de ces gens. En haut, une ouverture permet à l’esprit de circuler car dans ce livre la foi est la seule échappée. » Pour JJJJJJ de Jean-Noël Laszlo, un hommage au père de l’artiste, elle a choisi une peau exotique qui matérialise son installation au Brésil : « J’ai cousu des- sus des fils de couleur qui représentent les drapeaux des différents pays dans lesquels cet homme a vécu. » Autant de points de suture en signe de séparation. Pour arriver à ce résultat, elle a commencé par deux heures de lecture attentive : « Une belle performance pour neuf pages de texte », s’amuse-t-elle. Le dernier-né, La Tête or, explore une autre piste avec sa reliure souple à rabats : « Ce poème de Morina Mongin parle du travail du doreur. L’écri- ture m’a paru très charnelle. Il en résulte un petit livre tactile et manipulable. » Point de hasard.Tout vient de quelque part. Prisca Joubert se sert de son extrême sensibilité pour capter et restituer des sensations. Une façon de s’exprimer, par-delà les mots. Prisca Joubert La reliure des profondeurs Prisca Joubert transforme les émotions du texte en matière expressive avec des reliures conçues comme des concrétions composites. Les éléments disparates s’unifient. Des jeux de stratification ajoutent de la profondeur. Des éclats de lumière affleurent en couverture. Un travail dense et magnifique. Par Priscille de Lassus Prisca Joubert. Page de gauche : Pierre d’Espezel, AuxTrois Quartiers , Éditions Henri Jonquières, 1929, papier Madagascar. Reliure Bradel plein papier : papier japon noir et peaux de serpents,mosaïques de peaux de python, incrustation de plumes,2013.Dorure Damien Lebeuf. Ci-dessous : Maxence Van der Meersch, L’Empreinte du dieu ,gravures de Maurice Langaskens,Éditions du Nord, 1943.Reliure à plats rapportés en cuir et métaux (maillechort,cuivre, laiton), couture sur lacets de cuir et cordes de guitare,plat recto en métaux sculptés et soudés,plat verso et dos en nubuck noir,2007. Dorure Stéphane Gangloff.

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