Extrait Archéologia

7 Les couleurs antiques sous le regard de la science moderne Si la polychromie s’est mieux conservée sur la terre cuite que sur le marbre et le bronze, notamment dans le cas d’objets à usage funéraire déposés dans les tombes, il n’en demeure pas moins que nombre de figurines présentent aujourd’hui un aspect plus ou moins ruiné. Altérés par l’enfouissement, les restes de couleurs peuvent être à peine visibles à l’œil nu et, souvent, l’usure de l’épiderme est si prononcée que le support argileux est redevenu apparent. À ces difficultés matérielles s’ajoute le fait qu’aucun texte antique n’a transmis d’indication sur les pratiques d’ateliers. Ce n’est donc qu’en explorant la matière au moyen de techniques performantes d’examen et d’analyse que l’on peut percer les secrets des matériaux et des procédés employés par les artisans grecs il y a plus de deux mille ans. Pour mener la recherche sur le terrain, on dispose, grâce aux progrès de la technique moderne, d’appareils précis, puissants et por- tables. La démarche consiste à croiser, de manière intégrée, plusieurs méthodes d’ima- gerie multi-spectrale (avec des photographies calibrées dans l’ultraviolet, le visible et l’infra- rouge), d’examen microscopique puis d’analyse des matériaux en opérant, tantôt directement sur les objets, sans contact ni altération de la surface selon une approche non-invasive, tantôt sur des prélèvements d’échantillons de taille millimétrique. De la sorte, une véritable cartographie chimique de l’objet se dessine sous nos yeux et des traces de couleurs, mêmes infimes, sont détectées et identifiées. C’est le cas du pigment bleu connu sous le nom de bleu égyptien* : en imagerie infrarouge, il émet une luminescence d’aspect blanc brillant. Un lécythe plastique produit par les ateliers d’Athènes dans les années 380 avant J.-C. l’illustre parfaitement (visuels 1 et 2) . Façonnée dans un moule en relief, la face qui représente le rapt d’une figure féminine par un démon ailé (Borée et Oreithyia ?) a conservé sa riche polychromie. Si le bleu ornant les ailes du démon est parfaitement visible à l’œil nu, il n’en va pas de même des fines touches que le peintre antique a posées sur le blanc de l’œil des deux personnages, selon une recherche d’effet chromatique dont on connaît des parallèles dans la sculpture en marbre et en ivoire comme dans la peinture. 3. Déesse assise. Attique, 520-480 avant J.-C., inv. EAM 4528. Photo I. Miari, EFA. © Hellenic Ministry of Culture and Sports / Archaelogical Receipts Fund Peinture et modelé : le jeu de la forme et de la surface Du fait de sa technique de fabrication essentiellement par moulage, la coroplathie* est généralement perçue comme une forme d’artisanat stéréotypé, copiant sur un mode mineur la grande sculpture. Cette production de masse (le sol grec a livré en effet des dizaines de milliers d’objets) révèle pourtant, à l’examen approfondi, une inventivité cer- taine. La peinture, omniprésente, y est pour beaucoup. Si les débuts de la production au sein des ateliers de potiers privilégiaient un décor passé au feu et largement dominé par l’emploi du « vernis noir »*, dès la fin du VI e siècle avant J.-C. s’impose une technique de peinture à froid : après cuisson, l’argile des figurines est recouverte par un fond de préparation blanche sur lequel le peintre ap- pose des couleurs, à base de pigments, de colorants organiques et d’un liant. Cette finition colorée, systématique, constitue l’ultime étape de fabrication des figurines. 2. Lécythe plastique : scène de rapt. Il a été photographié en luminescence infrarouge. © G. Verri avec l’autorisation du musée archéologique national d’Athènes * Le bleu égyptien est un pigment de synthèse élaboré par cuisson d’un mélange de cuivre, de silice, de calcium et de fondant. * La coroplathie désigne la production de figurines en terre cuite dans le monde grec antique. * Le « vernis noir » est l’appellation traditionnelle du revêtement des vases grecs à base d’argile ferrugineuse enrichie en fondant potassique, cuit en oxydo-réduction à environ 950° C.

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