Extrait Archéologia

ARCHÉOLOGIA N° 563 / 5 UNE COMPARAISON SANS APPEL La voûte de la grotte s'est certainement effondrée il y a 160000 ans, emprisonnant ce fragment ainsi que du matériel archéologique prouvant la maîtrise du feu dans des foyers, la chasse avec projectiles et pointes de silex du gros gibier (comme des aurochs, des cerfs ou des gazelles) et l'aptitude des homi- ninés occupant les lieux à fabriquer des outils en pierre similaires à ceux trouvés chez les plus anciens humains modernes d'Afrique. « Une des difficultés de ces recherches a été d'identifier les caractéristiques anatomiques seulement présentes chez les humains modernes qui ne laissent aucun doute sur l'espèce à qui appartenait le maxillaire et les dents fossili- sés de Misliya », explique le scientifique israélien. Des analyses produites grâce à la tomographie • à rayons X et la réalisation de modèles virtuels en 3D ont permis aux chercheurs d'établir des comparaisons avec des homininés d'Afrique, d'Europe et d'Asie. Et la conclusion est sans appel : « Tous les détails ana- tomiques du fossile de Misliya correspondent bien à la morphologie des humains modernes mais cer- tains traits se retrouvent également chez l'homme de Néandertal et d'autres groupes humains archaïques », se réjouit le professeur Quam. De là découle éga- lement le fait que « les hommes modernes avaient potentiellement rencontré d'autres groupes d'hu- mains archaïques pendant cette plus longue période de présence en Eurasie, offrant plus d'occasions d'échanges culturels et de croisements biologiques », explique-t-il. Ce qui rejoint ainsi de récentes études sur l'ADN. Comme l'exprime à notre confrère de Libé- ration Pascal Picq, paléoanthropologue et maître de conférences au Collège de France, « on pensait […] que la poussée [d’ Homo sapiens ] avait été assez rapide pour se retrouver en Inde, en Indochine, en Chine, et enfin en Australie, où il était peut-être il y a 70000 ans. Ce n'était probablement pas aussi rapide qu'estimé. » UNE AFRIQUE PLUS LARGEMENT PEUPLÉE ? Une question demeure sans réponse : pourquoi la publication intervient-elle aujourd'hui alors que la découverte a eu lieu en 2002 ? Unmystère qui fait écho à celui de ce qui se révèle être le scandale du fémur de Toumaï, qui aurait été mis au jour en 2001 au Tchad par Michel Brunet, en même temps que le crâne du plus ancien ancêtre de la lignée qui a donné naissance aux êtres humains datant de 7 millions d'années. Ce fameux fémur n'a,à ce jour,jamais été publié et reste entouré d'un étouffant secret. Peut-être la publica- tion en juin 2017 de la découverte des fossiles de crânes à Jebel Irhoud, au Maroc, dans la revue Nature a-t-elle été un déclencheur entraînant celle de Science ... Jean-Jacques Hublin, membre de l'Institut Max Planck d'Anthropologie Évo- lutionnaire (Leipzig, Allemagne) et du Collège de France, déclarait alors : « Nous avons pris l'habitude de penser que le berceau de l'hu- manité moderne peut être localisé en Afrique de l'Est il y a 200000 ans, mais nos travaux démontrent sans ambiguïté qu’ Homo sapiens était probablement déjà présent sur l'en- semble du continent africain il y a 300000 ans. Bien longtemps avant la sortie d'Afrique d’ Homo sapiens , il y a eu une dispersion ancienne à l'intérieur de l'Afrique. » Ces dernière années ont été riches d'en- seignements pour l'anthropologie, et il est à espérer que lemont Car- mel, un site essentiel du cadre chrono-stratigraphique de l'évolution humaine en général, et de la Préhis- toire du Levant en particu- lier, livre d'autres secrets dans les années à venir. Stéphanie Pioda La tomographie est une technique d'imagerie,qui permet de reconstruire le volume d'un objet à partir d'une série de mesures effectuées par tranche depuis l'extérieur de cet objet. POUR ALLER PLUS LOIN HERSHKOVITZ I. et al. ,2018 « The earliest modern humans outside Africa », Science ,vol.359, n o 6374,p.456-459. DOI: 10.1126/science.aap8369 © Rolf Quam/ Binghamton university/AFP

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