Extrait Art de l'Enluminure

rable à la botanique absurde d’Edward Lear. Mais différente, car la botanique de Lear s’inspire d’abord des noms comiques des plantes, d’un monde verbal imposé à la nature : Bottle- phorkia Spoonifolia (Bouteilleforchettia Cuillèrifolia), Small- toothcombia Domestica (Petitdentpeignia Domestica). Retournons au Psautier de Winchester afin de noter une dernière métaphore. Le limbe (partie large) des pétales de la fleur en bas est plissé comme les vêtements de David et des prophètes, et la forme tubulaire du rebord est égale- ment reprise des drapés. Cependant, là où les figures sont revêtues d’un tissu fin et moulant traversé d’une araignée de plis tubulaires, le réseau qui définit les contours et les surfaces des fleurs leur confère un aspect renflé, gonflé, gibbeux. La fleur à bonnet (qui s’inspire peut-être de celle du petit pois) est conçue avec une guimpe festonnée, serrée autour de la tête par une ceinture perlée.Autant les tiges se terminant en dragon parlent d’une nature sauvage, menaçante, en friche, autant les fleurs humanisées, dotées de motifs vestimentaires parlent d’une nature domestiquée. L’apprivoisement de la nature dessinée est un phénomène qui se met en place progressivement au XII e siècle. Comparons deux manuscrits provenant de l’abbaye de Pontigny, l’un enluminé vers 1135, l’autre vers 1180. Dans le premier, l’initiale D du commentaire de saint Augustin sur les Psaumes, conservé au musée de Clamecy, l’artiste s’extasie devant une nature rampante, incontrôlée : aucune fleur ne se répète ; dansantes, désaxées, elles se dressent, retombent, cabriolent sur la tige ; l’absence de la couleur et le dessin en réserve sur fond mosaïqué accentuent la turbulence et le mélange sauvage des diverses espèces ; c’est un lieu où même les animaux et les oiseaux sont On rencontre souvent dans les initiales romanes l’humour de l’artiste, telles les têtes sortant des feuilles. Cambridge, Corpus Christi College, ms. 2, Bible de Bury-Saint-Edmund , f° 5 v°, détail (initiale D), prologue de Genèse, Angleterre, vers 1135. Parfois l’artiste donne un aspect animalier à chaque feuille ! Bourges, bibliothèque municipale, ms. 44, Lectionnaire de l’office , abbaye de Saint-Pierre de Chezal-Benoît, f° 115 v°, détail (initiale H), XI e siècle. Une botanique absurde a été réinventée au XIX e siècle par Edward Lear, mais à partir de mots. Edward Lear, The Complete Nonsense of Edward Lear , 1846, p. 127. Art de l’enluminure 43

RkJQdWJsaXNoZXIy MTEzNjkz