Extrait Art de l'Enluminure

Les complexités florales L’idée de croissance est élémentaire pour toute composition de fleur.Dans son expres- sion la plus simple on fait jaillir d’un réceptacle ou d’un calice les parties sail- lantes : l’étamine, l’ovaire, le style et le stigmate, les pétales imbriqués. On prolonge la croissance par l’insertion étagée de formes, plusieurs réceptacles ajustés l’un dans l’autre, ordonnance qui rappelle aussi l’accroisse- ment de certaines tiges dans la nature. Mais la croissance peut être exprimée aussi par la flexibilité, la mutabilité des formes, une flexibilité particulièrement ressentie en Angleterre au deuxième quart du XII e siècle où les artistes semblent fascinés par les fleurs complexes, les fleurs zygomorphes (symé- triques par rapport à un plan) aux pétales labiés, casqués, spatulés, les fleurs à étendard : l’iris, l’ancolie, l’aconit, le petit pois, l’ortie, la sauge, la gueule-de-loup. C’est l’intromission des formes, les pétales engainants, creusés, l’intégralité de la fleur qui capte l’imagination. Dans un des exemples les plus célèbres, l’arbre de Jessé dans le Psautier deWinchester, l’assemblage de pétales est traité comme une membrane continue, soudée, gamopétale, pliable, étirée en arrière-plan comme une spathe pour former des casques et des excroissances tréflées. À la différence des formulations additives des fleurs plus anciennes, où chaque élément est autonome et discret, la fleur tentaculaire présente un continuum de parties fondantes, une fleur organique. Des fruits poussent inopinément au sommet des pétales, dans le casque, entre les pétales. La membrane se régénère aux extrémités pour former de nouvelles fleurettes, telle la fleur à bonnet (sur les tiges tenues par le Christ en haut de la miniature), elle- même capable de pousser des languettes. Cette recrudescence rayonnante exprime la variété et le mouvement des formes dans une seule fleur pendant toute sa période de croissance. La grandeur et la complexité de la fleur, qu’il faut scruter lentement, lui confèrent une temporalité.Comme dans un film qui montre au ralenti une fleur depuis la pousse jusqu’à l’éclosion, le mûrissement, et l’extension des extrémités morphotropiques vers des appuis, on rassemble un millier d’images simul- tanément, instantanément dans une seule fleur. Mais le monde végétal n’est pas la seule source d’imagination.De petites nervures tubulaires dénotent la rondeur, le relief à l’extérieur du pétale, rappelant les gaines retroussées d’où sortent les tiges, les doigts des mains qui tiennent les branches. Les casques de la spathe (membrane) s’étirent et s’agrippent à la tige comme des acrobates. Il y a une recherche de bel esprit, du geste inattendu, de l’humour dans le dessin. C’est une humanisation de la nature, parfois menée à l’extrême par des têtes nichées dans les feuilles et les pétales, par les feuillages munis d’yeux, compa- 42 Art de l’enluminure Une des miniatures célèbres de la fleur tentaculaire montre bien comment cette invention est construite comme une membrane continue, à la différence des fleurs additives. Londres, British Library, Cotton Nero C. IV, Psautier de Winchester , f° 9, Arbre de Jessé, Winchester, milieu du XII e siècle.

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