Extrait L'Objet d'Art

55 JANVIER 2019 L’OBJET D’ART loi, les têtes maories conservées par des musées de France cessent de faire partie de leurs collections pour être remises à la Nou- velle-Zélande ». Une autre solution consistait à admettre que certains objets n’ont jamais pu être intégrés aux collections des musées. Tel est le cas, après leur récupération, desmilliers d’œuvres d’art pillées chez les particuliers par l’occu- pant nazi. On évite ainsi que la question du déclassement ne soit posée. Modifier le code du patrimoine Mais les auteurs du rapport considèrent que ni l’une, ni l’autre de cesmanières de faire ne correspondent au processus de restitution tel qu’ils le conçoivent. Ils préconisent donc une procédure entièrement nouvelle qui requiert unemodification du code du patrimoine. Cette procédure reposerait sur des accords bilaté- raux de coopération conclus avec les pays anciennement colonisés. Les restitutions devraient être demandées par ces pays. Elles pourraient concerner soit les objets qui ont étéacquis sans le consentement libreet éclai- ré de leurs propriétaires d’origine, nonobs- tant l’existence ultérieure d’un don ou d’un legs, soit ceux dont les circonstances d’ac- quisition n’ont pu être établies, mais qui sont complémentaires d’autres objets restitués. Des commissions paritaires d’experts, nom- més par les deux parties, vérifieraient que ces conditions sont remplies. Un avis favorable de leur part permettrait la sortie de ces objets des collections des musées français où ils sont conservés. C’est ensuite la personne publique propriétaire des objets en question qui prendrait la décision de les restituer aux pays demandeurs. En outre, des accords de coopération culturelle seraient conclus entre la France et les États africains. Le projet est ambitieux. Mais il n’est pas cer- tain qu’il recueille, en France, l’adhésion en- thousiaste des professionnels concernés... À LIRE : Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, Restituer le patrimoine africain , coédition Philippe Rey / Seuil, 192 p., 17 € . Sculpture dédiée à Gou, Dieu de la guerre. Fer, bois, H. 165 cm. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac. ©musée du quai Branly – Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Hugues Dubois Arrivée au musée d’ethnographie du Trocadéro après la prise du palais d’Abomey par les troupes françaises, en 1894, cette pièce est depuis longtemps réclamée par le Bénin. Elle fait partie des 25 restitutions, symboliques et prioritaires, préconisées par le rapport Savoy-Sarr. 1 Texte du rapport. 2 Loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. Les auteurs du rapport soulignent que « l’ab- sence de patrimoine peut rendre la mémoire silencieuse ». Le fait est que certains pays africains ont, durant la période coloniale, per- du le souvenir de leur passé et, de ce fait, une partie de leur identité. D’où la nécessité de leur rendre leur patrimoine. Le point de vue juridique L’argument longtemps opposé par les autori- tés françaises aux demandes de restitution – à savoir que les objets faisant partie des collections publiques sont inaliénables – est difficilement contestable. Voici, en effet, ce que dispose le code du patrimoine dans son article L 451-5 : « Les biens constituant les collections des musées de France apparte- nant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre inalié- nables. Toute décision de déclassement d’un de ces biens ne peut être prise qu’après avis conforme de la commission scientifique na- tionale des collections ». La situation est donc claire : si l’on veut cé- der des biens des collections publiques, il faut d’abord procéder à leur déclassement, ce qui suppose l’accord préalable de la Commission scientifique nationale. Mais l’avis de cette Commission, qui est composée d’un député, d’un sénateur, de représentants de l’État et de personnalités qualifiées est, en pratique, très difficile à obtenir. Il faut ajouter que, selon l’article L 451-7, les biens incorporés dans les collections publiques à la suite de dons ou de legs ne peuvent être déclassés. Or, nombre d’objets africains ont été donnés ou légués aux mu- sées par ceux qui les ont rapportés d’Afrique ou par leurs descendants. Aussi, les auteurs du rapport proposent-ils d’emprunter une autre voie. On aurait pu d’abord songer à recourir aux lois d’exception. C’est cette voie qui a été prise lorsque la France a décidé de rendre à la Nouvelle-Zélande les têtesmaories conser- vées dans lesmusées français. Le Parlement a adopté une loi 2 selon laquelle « à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente

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