Extrait L'Objet d'Art

54 L’OBJET D’ART JANVIER 2019 Statue royale anthropozoomorphe entre 1889 et 1893. H. 168 cm. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac. ©musée du quai Branly – Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Patrick Gries Statue royale mi-homme, mi-requin représentant Béhanzin, le dernier roi du Dahomey (1890-1894), hé- ros national et figure de la résistance à la colonisation. Pièce maîtresse du musée du quai Branly, cette statue fait partie du "trésor de Béhanzin", dont le Bénin demande le retour. Faut-il restituer L e fait est là : nombre de pays africains ont été, essentiellement durant la pé- riode coloniale, dépossédés de la plus grande partie de leur patrimoine artistique. À cet égard, les chiffres sont éloquents. Pre- nons le cas de l’Afrique subsaharienne. Un rapport que l’on évoquera dans un instant précise que l’on « compte actuellement dans les collections publiques françaises aumoins quatre-vingt-huit mille objets provenant de l’Afrique au sud du Sahara », alors que, « à quelques exceptions près, les inventaires des musées nationaux africains ne dépassent guère 3 000 objets dont la majorité est de qualité et d’importance relative ». On comprend, dans ces conditions, que les dirigeants africains réclament, depuis près d’un demi-siècle, la restitution de leurs patri- moines culturels respectifs. Ils se sont jusqu’à présent heurtés, à quelques exceptions près, à des fins de non-recevoir – de la part de la France, en particulier. À ces demandes, nos dirigeants ont en effet opposé un argument apparemment irréfutable : les objets en ques- tion ont été depuis longtemps intégrés au do- maine public mobilier de l’État ; ils sont donc devenus inaliénables. Le rapport Savoy-Sarr La prise de position du président Macron tranche donc avec les discours du passé. Il a d’ailleurs demandé à deux universitaires, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, de rédiger un rapport sur la question, rapport qui lui a été remis le 23 novembre dernier. Ce sont les grandes lignes de ce rapport que nous allons exposer. Précisons d’abord qu’il ne concerne que le cas des pays de l’Afrique situés au sud du Sahara colonisés par la France. De la lecture de ce rapport, il ressort à l’Afrique son C’est le président Macron qui a remis la question à l’ordre du jour. Le 28 novembre 2017, à l’université de Ouagadougou, la capitale du Burkina, il a déclaré : « Je veux que d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». à l’évidence que, aux yeux de ses auteurs, l’on doit procéder à la restitution de la plupart des objets que nous avons « collectés » dans ces pays, même s’il est souhaitable que certains d’entre eux restent dans les musées euro- péens. Et ce, pour deux raisons. Des objets « collectés » dans un cadre colonial La première est d’ordre moral : elle tient aux conditions dans lesquelles ont été acquis la plupart de ces objets. Ces acquisitions ont principalement eu lieu dans le cadre colo- nial. Autant dire que la plupart du temps, les François Duret-Robert transferts de propriété ont été réalisés sans le consentement réel des propriétaires. Les annexions patrimoniales étaient, en effet, considérées comme la conséquence na- turelle des guerres de conquêtes. La « col- lecte » des objets était le fait des soldats, des fonctionnaires, mais aussi desmissionnaires catholiques et protestants. Il faut rappeler que jusqu’à la fin du XIX e siècle, « le droit de s’approprier ce qui a été pris sur l’ennemi faisait partie des pratiques de guerre licites et codifiées 1 ». Il a fallu attendre 1899 pour qu’une convention signée à LaHaye par vingt- quatre États interdise la saisie des «œuvres d’art et de science » dans les pays occupés. Les conditions dans lesquelles les pays eu- ropéens, et la France en particulier, sont en- trés en possession de nombre d’œuvres d’art africaines, ne peut donc qu’inciter, sur le plan éthique, à procéder à leur restitution. Rendre à l’Afrique son identité profonde La seconde raison présente un carac- tère plus pragmatique. Elle repose sur la nécessité qu’il y a de contribuer à rendre à certains peuples africains leur identité pro- fonde. Le départ massif des objets culturels a laissé, dans les pays qui ont été victimes des pillages, des séquelles durables. patrimoine culturel ? ENQUÊTE

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