Extrait Dossier de l'Art

8 / DOSSIER DE L’ART 266 à l’opposé de l’esthétique de Chardin. Mais en présentant ces deux tableaux seuls – qu’on connaît presque trop bien aujourd’hui en un sens –, on n’aurait pas permis au public de com- prendre cette comète qu’est Chardin. Quand on voit les natures mortes si somptueuses et si différentes qui sont peintes au même moment, alors on prend la mesure de ce que Chardin apporte au siècle, de sa sensibilité très particulière à l’instantané. On voit qu’un rapport totalement nouveau à l’œuvre est en train de s’instaurer. A. C. : Les deux natures mortes de Chardin sont les derniers tableaux du parcours nantais, mais pour moi ils « clôturent » les expositions de Rennes et de Nantes réunies. C’est dans le genre le plus humble, le moins reconnu par l’Académie, justement parce que la peinture se vide complè- disparaît. Si la hiérarchie des genres conditionne le métier de peintre, les deux tableaux les plus modernes de l’exposition, ce sont peut-être ces deux petits Chardin commentés par Diderot, qui sont des antithèses parfaites de la peinture d’histoire. Ce qui se joue dans l’évolution de cette hiérarchie se perçoit-il dans l’exposition ? G. K. : Précisément, la façon de pré- senter les deux tableaux de Chardin a été longuement discutée. On voyait bien qu’ils ne pouvaient pas être accrochés avec les autres natures mortes, plus classiques, qui se situent La partition en deux volets reflète une hiérarchie académique qui place la peinture d’histoire au premier rang. Cette hiérarchie domine-t-elle tout le XVIII e siècle ? G. K. : La hiérarchie des genres existe jusqu’à la Révolution. Au XVIII e , elle conditionne la production, les débats, la façon dont on juge les œuvres. On compare Restout à Le Brun, les por- traitistes aux portraitistes du siècle précédent. En un mot, le sujet est toujours là, central. A. C. : C’est pour cette raison que les peintres les plus célèbres, jusqu’à la fin du siècle, sont les peintres d’his- toire. Néanmoins, les amateurs, qui prennent une place de plus en plus grande, se tournent vers la pein- ture flamande et hollandaise du XVII e siècle, qui influence nettement la production. Au XVII e en effet, les « petits genres » et les « petits maîtres » ont connu un succès iné- dit dans ces régions du Nord. Par ailleurs, le goût du public, reflété par les Salons, s’oriente de plus en plus vers le portrait à tel point qu’au Salon de 1747 c’est le genre le plus représenté. Même des critiques émi- nents comme Diderot sont désorien- tés par ce phénomène. Pour Diderot en effet, le plus grand peintre demeure le peintre d’histoire : doit-il alors choisir ses sujets dans la vie quotidienne, en conservant une rhétorique grandiose ? En un sens, Diderot incarne bien les ambiguï- tés du siècle : il salue les grandes mises en scène dramaturgiques d’un Greuze, mais il adore Chardin sans savoir expliquer pourquoi. Il est décontenancé par cette peinture pure, totalement nouvelle, où le sujet Diderot incarne bien les ambiguïtés du siècle : il salue les grandes mises en scène dramaturgiques d’un Greuze, mais il adore Chardin sans savoir expliquer pourquoi. Jean Siméon Chardin, Le Panier de prunes Détail de l’œuvre reproduite en entier p. 69 Rennes, musée des Beaux-Arts © MBA Rennes – J.-M. Salingue

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