Extrait Dossier de l'Art

42 / DOSSIER DE L’ART 256 1808 Le tableau qu’Henriette Lorimier envoie au Salon de 1802, sous le titre Une jeune fille près d’une fenêtre, pleurant sur une page d’Atala , exprime plus que toute critique le succès incroyable que rencontre dès sa sortie en 1801 Atala, ou les amours de deux sauvages dans le désert de Chateaubriand. C’est toutefois le tableau monumental que Girodet présente en 1808 qui va incarner pour la postérité la pureté des senti- ments de Chactas et d’Atala, héros d’un récit qui intégrera Le Génie du christianisme . « J’ai passé comme la fleur » Artiste à la sensibilité mélancolique déjà tournée vers ce qui fera quinze ou vingt ans plus tard les grandes heures du romantisme, Girodet s’impose depuis sa sortie de l’atelier de David comme le peintre des amours tour- mentées empreintes d’une poésie nouvelle. Rien ne pouvait mieux lui convenir qu’ Atala . Les amours impossibles d’un Indien et d’une jeune chrétienne dans le Nouveau Monde de la fin du XVII e siècle ne pouvaient que lui plaire, comme au lectorat de l’Empire avide de romans nourris du sentiment romantique qui éclot alors. Atala, fille d’un Espagnol et d’une Indienne, tombe amoureuse de Chac- tas après l’avoir sauvé du bûcher réservé aux tribus sauvages. Recueillis par le père Aubry, ils décident de s’unir dans le mariage lorsqu’Atala se rappelle la promesse faite à sa mère de rester vierge et chrétienne. Elle se suicide pour échapper à sa passion, mais découvre en expirant dans les bras de son bien-aimé qu’elle aurait pu simplement renon- cer au vœu. Chactas promet de se convertir, faisant se rejoindre sentiment amoureux et foi religieuse avant d’ensevelir celle dont il raconte le récit au crépuscule de sa vie. L’in- nocence des sentiments qui unissent ces deux sauvages que la civilisation n’a pas souillés, le silence du recueillement autour du corps gra- cile enveloppé dans son linceul virginal, l’ul- time étreinte passionnée qui accompagne la figure aimée vers la tombe, la douleur conte- nue et pourtant si perceptible chez Chactas et le père Aubry, tandis que les tourments d’Atala ont cessé, la simplicité de la composi- tion transposant les funérailles d’Atala en une mise au tombeau profane font du tableau non seulement la traduction parfaite du roman, véritable éloge du sacrifice catholique, mais également une icône du romantisme naissant. Un verset du Livre de Job, gravé sur la paroi de la grotte, achève de poétiser ce triomphe de la mélancolie : « J’ai passé comme la fleur, j’ai séché comme l’herbe des champs. » De la plume au pinceau Commandé par Bertin l’Aîné, directeur du Jour- nal des débats , en hommage à Chateaubriand, dont Girodet réalise parallèlement le portrait, l’œuvre connaît sans tarder un succès éclatant qui vaut au peintre la Légion d’honneur et la commande d’une réplique pour Joséphine (Amiens, musée de Picardie). Confiée à son élève Pagnest, la toile lui est finalement retirée lorsque Girodet découvre que ce dernier tra- vaille également pour David. Alors que Girodet n’aurait dû réaliser que les visages et les mains, il en recouvre chaque trait, transformant la réplique en tableau autographe. La mort de Joséphine en modifie le destin. Son exposition au Salon de 1814 ravive la passion pour cette toile dont le sentimentalisme est plus que jamais dans l’air du temps. Le gouvernement royal y voit l’occasion de faire entrer Atala dans les collections. L’affaire est conclue en 1818, ce qui n’empêche pas les musées royaux d’acquérir un an plus tard le tableau de Bertin pour la somme considérable de 24 000 francs. Grand représentant d’une peinture narrative et mélancolique, Girodet attire sans tarder à lui une génération de rapins à laquelle il lègue cette sensibilité littéraire qui s’impose, quelques mois après sa mort en 1824, comme l’expression même du romantisme. Atala au tombeau ANNE-LOUIS GIRODET DE ROUSSY-TRIOSON Le romantisme EN CINQ ACTES Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson, Atala au tombeau , 1808. Huile sur toile, 207 x 267 cm. Paris, musée du Louvre © Musée du Louvre, dist. RMN – A. Dequier

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