Extrait Dossier de l'Art

DOSSIER DE L’ART 256 / 17 L’ALLEMAGNE, UN SOL ROMANTIQUE dont le sens tout à la fois précis et fuyant se renouvelle à chaque contemplation. Le romantisme allemand joue ainsi un rôle de cataly- seur dans la diffusion d’une nouvelle esthétique en rup- ture avec les Lumières. Il connaîtra un immense suc- cès en musique et en littérature, tandis que sa peinture – métaphysique et souvent perçue comme nationaliste, en France par exemple – restera en deçà des frontières de l’Empire prussien. Les peintres romantiques français et anglais dépasseront en postérité les Allemands, dont la reconnaissance sera tardive. La Théorie des couleurs (1808- 1810), influence directement la vision symbolique de la nature de Runge dans La Sphère des cou- leurs (1810) . Dans cet ouvrage, le peintre développe un schéma chromatique construit sur le principe mathématique d’une affinité entre physiologie et cos- mos. Le médecin, psychologue et géologue Carl Gustav Carus, grand ami de Caspar David Frie- drich et familier des écrits du naturaliste Alexander von Hum- boldt, conçoit quant à lui une peinture à la croisée des théories romantiques du paysage et des recherches goethéennes sur la nature et l’art. En 1832, avec Le Monument à Goethe , Carus rend hommage au maître dans une mise en scène tout à fait « frie- drichienne », portant à croire que toute opposition entre roman- tisme et classicisme est périmée, car c’est à leur complémentarité que cette ode est destinée. Une religion romantique ? Comme la peinture de Friedrich l’incarne admirablement, obser- ver la nature, même scientifi- quement, implique une attitude métaphysique et religieuse propre à l’individu moderne. À la fin du XVIII e siècle et au XIX e , le piétisme façonne encore les sensibilités en profondeur. Avec la Réforme, et depuis Luther, le croyant est autorisé, voire encouragé à entretenir une relation directe avec Dieu, sans passer par des dogmes ou des liturgies. La prière se libère et peut s’exprimer dans la contemplation de la nature, du cosmos, de ce grand tout qui va de l’infiniment petit à l’in- finiment grand. Contempler la nature, contempler l’art se rejoignent ; non pas que l’art et la nature se confondent, mais ils collaborent dans l’interprétation du Grand Livre de la nature que la créature humaine reçut de Dieu en héritage. Ainsi que l’écrit Novalis en 1798 dans Les Dis- ciples à Saïs, la nature se laisse déchiffrer à qui sait tendre l’oreille, mais se dérobe à chaque succès. Fidèle à cette idée, Friedrich peint le paysage comme une allégorie Caspar David Friedrich, Falaises de craie sur l’île de Rügen , 1818-19. Huile sur toile, 90 x 71 cm. Winterthour, musée Oskar Reinhart am Stadtgarten © BPK, Berlin, dist. RMN – H. Buresch

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