Extrait

Le modèle peint par Bellengé en 1777 pour le tapis du boudoir turc de Marie-Antoinette à Fontainebleau servit sous l’Empire à l’exécution de deux tapis dont le premier fut mis sur métier en décembre 1807 et le second en mars 1808. Tous deux diffèrent du modèle d’origine. Rappelons tout d’abord l’histoire du tapis du boudoir turc. Le modèle, exécuté spécialement pour la pièce par le peintre Michel-Bruno Bellengé, « d’après le consentement » du comte d’Angiviller du 18 juillet 1777 1 , avait été livré à la Savonnerie le 21 janvier 1778. Le mé- moire de l’artiste, dont c’était le premier travail pour la manufacture, en donne la description suivante : « Au centre, on voit une étoile, ornée de croissants enlacés et laissant échapper des guirlandes de perles ; cette étoile est encore environnée d’une autre guirlande composée de fleurs se liant à divers autres ornemens comme turbans, aigles, palmes, cassolettes, masques et cor- beilles de fruits, le tout dans une bordure feinte d’or, chargée de perles et de rubis 2 . » Rapidement tissé, le tapis entre dans le cou- rant de 1778 au magasin de la manufac- ture 3 . Nicolas-Cyprien Duvivier attend des instructions pour le livrer, ainsi qu’il l’écrit le 2 décembre 1778 4 . Le tapis reste à la Sa- vonnerie jusqu’en 1783 et figure dans les différents états des ouvrages en magasin 5 . Il est remis au Garde-Meuble en septem- bre 1783 sous le n o 396 6 . Envoyé à Fontai- nebleau, il n’y fut pas utilisé. Fut-il même présenté à la souveraine 7 ? Rien ne permet de l’affirmer. Ce qui peut s’expliquer par une certaine rivalité entre les services : la commande avait été traitée par le Garde- Meuble de la Couronne alors que l’ameublement du boudoir, pièce non officielle, relevait du Garde-Meuble de la reine 8 . Mais plus encore, nous semble-t-il, en raison d’une rivalité personnelle : Rousseau, auteur de la décoration du cabi- net turc, prétendait « à l’honneur de donner ce dessin 9 ». Tel n’avait pas été le cas. En 1789, l’« État général des tapis de pieds… » fournit des détails sur ce tapis qui figure, toujours sous le n o 396, parmi les « Tapis de Savonnerie renvoyés de Fontaine- bleau en juillet 1788 » ; il est indiqué qu’il « n’a jamais servi 10 ». Dans ce même état, parmi les «Tapis de Savonnerie de Fontaine- bleau sans destination », sa description est plus précise : « N o 396. 1 charmant tapis fond lilas, échancré en divers endroits, attendu qu’il a été fait sur mesure pour le cabinet turc de la reine où il n’a jamais servi, son Garde- meuble étant chargé de cet ameublement. Aux deux coins de ce tapis sont deux casso- lettes portées par des aigles, aux deux autres coins les mêmes cassolettes portées par des consoles, des guirlandes de fleurs encadrant une rosace en forme d’étoile qui fait le mi- lieu ; laquelle est ornée de perles et de crois- sants de 3 au. ½ de long sur 3 au. ⅛ faisant 12 pieds 10 pouces sur 11 pieds 5 pouces 11 [4,16 × 3,70 m]. » La description ne peut être plus explicite et il ressort clairement de cette dernière phrase que le tapis d’origine ne corres- pond à aucun des deux exemplaires exis- tants. Si l’on ignore ce qu’il advint du tapis d’origine après 1792 12 , le carton resta à la manufacture et servit, sous l’Empire, aux deux tissages avec variantes ici étudiés. Lors de son utilisation en 1807, le tableau de Bellengé fut adapté, à la fois dans sa forme, désormais rectangulaire sans dé- coupes ni arrondis, et dans son décor : ce premier tissage ne comporte pas les deux aigles du tapis initial de Fontainebleau, mais seulement les consoles supportant des cassolettes, dorénavant répétées aux quatre angles. Cet exemplaire, avec ses têtes féminines à nattes et le motif central à croissants, n’est pas identique au tapis à quatre aigles tissé quelques mois plus tard, qui présente des variantes dans plusieurs ornements. Est-il plus fidèle au modèle de 1777 ? Ceci est vraisemblable, dans la me- sure où il a été mis le premier sur métier en 1807. On note que l’emplacement de la cheminée et celui en vis-à-vis ne sont pas ornés du motif à palmes que porte le second exemplaire, à aigles. Le souvenir des deux impératrices, Joséphine et Marie- Louise, a souvent été rattaché à ce tissage qui, selon une tradition peu crédible ap- parue dans les années 1920 et qui a per- duré jusqu’à nos recherches, aurait été commandé pour l’impératrice Joséphine, non utilisé en raison du divorce et em- ployé dans le boudoir de Marie-Louise à Compiègne 13 . Or, on sait que le fabricant Bellanger avait livré pour cette pièce un tapis en moquette de forme ronde dans les derniers mois de 1809 14 , encore en place aujourd’hui. Nous avons donc cherché à reconstituer l’histoire du tapis à consoles 15 . 72 Michel-Bruno BELLENGÉ (d’après) 1. Deux tapis dessin turc !ssés sans des!na!on Carton peint par Bellengé pour le boudoir turc de Marie‐Antoine"e à Fontainebleau, 1777. Non retrouvé A. Tapis Manufacture de la Savonnerie à Chaillot Tissage : 18 décembre 1807 – 5 mai 1809 4,21 × 3,60 m É$que"e cousue au revers : « Palais de l’Élysée. Grand Appartement du 1 er étage / Salon de bain. » Paris, Mobilier na$onal, GMT 2055, dépôt au musée na$onal des châteaux de Malmaison et Bois‐Préau EXPOSITIONS Paris, 1949, n o 25 ; Montréal, Bâton‐Rouge, 2003‐2004, n o 20, p. 24‐25 ; Compiègne, 2010, n o 36, fig. 140. BIBLIOGRAPHIE Bellier‐Auvray, 1882, p. 66 ; Engerand, 1901, p. 30 ; Dimier, 1908, p. 122 ; Guiffrey, 1913, p. 184, n o 48 ; Braquenié etMagnac, 1924, p. 75 et pl. 13 ; Verlet, 1961, p. 162 ; Jarry, 1966, p. 37 et fig. 56 ; Faré, 1976, p. 240‐247 ; Verlet, 1982, p. 116‐120, fig. 73, p. 357, p. 407, note 60 et p. 472, note 27 ; Sherrill, 1995, p. 90‐91, fig. 96 ; Floret, 1996, p. 253, fig. 236 ; Standen etWearden, 2003, p. 621 (repr.) ; Gas$nel‐Coural, 2008, p. 68‐78 ; Gas$nel‐ Coural, 2010, p. 115‐126 et p. 174, n o 36, fig. 140. DESCRIPTION Tapis turc composé d’une bordure à feuilles d’acanthe roulées et entourées de pierreries, ornements avec turbans, milieu à croissants (AN, O 2 909, État des ouvrages en tapis exécutés pendant les neuf premiersmois de l’année 1809).

RkJQdWJsaXNoZXIy MTEzNjkz