Extrait du livre : La peinture religieuse en France

Pages précédentes C HARLES L E B RUN Le Portement de Croix (détail), huile sur toile, 1,53 sur 2,14 m, 1687-1688, Paris, musée du Louvre. Locquin, fut soutenue et éditée en 1912 14 . Ces deux ouvrages avaient en apparence des objets différents. Le premier se proposait d’analyser le tournant du règne de Louis XIV et le passage de « Le Brun à Watteau ». En d’autres termes, Pierre Marcel se proposait de démontrer que la mainmise de la Couronne sur les arts avait entraîné après 1715 le rejet de la peinture d’histoire, puis la naissance de la fête galante de Watteau : ce genre profane était pour lui expression de l’émergence d’une nouvelle société dans la France d’Ancien Régime. La thèse de Locquin était tout autre : laissant de côté le début du siècle, elle dressait le tableau d’une lente remise à l’honneur du grand genre, qui aboutissait aux « exemples de vertu » de la peinture néoclassique davidienne dans les années 1780. Elle incluait une étude très novatrice des rapports des artistes avec les institutions royales de l’Ancien Régime, qui étaient selon lui à l’origine de la promotion nouvelle de la peinture d’histoire à partir des années 1750-1760. Pour différentes qu’elles soient, les thèses de Pierre Marcel et de Jean Locquin étaient cependant les deux versants d’un même propos : l’évolution de la peinture annonçait la fin de l’Ancien Régime et les bouleversements de la Révolution. Dans ce panorama, la peinture religieuse ne pouvait plus qu’avoir une place réduite, puisqu’elle était à la fois opposée au nouveau goût pour la peinture galante, dont Watteau et Boucher étaient les plus célèbres représentants, et à la peinture « morale » de la fin du siècle, qui exprimait simultanément la reprise en main des institutions artistiques par la Couronne et l’épanouissement des idées philosophiques. Pour Pierre Marcel, l’absolutisme avait engendré la mort du « religieux » en voulant imposer une peinture théologico-politique hors de saison à partir de 1715. C’est en effet « après 1709 que les imaginations galantes devinrent très abondantes dans les tableaux d’église 15 » selon l’auteur, qui faisait du décor de la chapelle de Versailles une césure à la fois esthétique et théologique, notamment à cause des « intentions libertines 16 » de la Sainte Thérèse de Jean-Baptiste Santerre, peinte pour un des autels de la chapelle. Pour Jean Locquin, le roi était à l’origine d’une reviviscence de la peinture d’histoire, mais cette dernière était inévitablement orientée vers les sujets patriotiques ou antiques, préfiguration des idéaux de la « nation ». Le fait que les deux historiens de l’art aient été proches tous les deux de la Section française de l’Internationale ouvrière (Locquin fera même une carrière politique sous la bannière de la SFIO) n’était évidemment pas anodin : leur lecture du XVIII e siècle était celle des historiens de leur temps et mettait l’accent sur les origines intellectuelles de la Révolution 17 . De plus en plus sécularisé, le XVIII e siècle était pour eux tendu entre des aspirations démocratiques et la prégnance des anciens ordres de la société, virtuellement condamnés dès le règne de Louis XVI d’après Locquin. Dans ce panorama, la peinture religieuse était au mieux un genre hybride, contaminé par les sujets mythologiques galants, au pire un reliquat d’un ordre ancien, en passe de disparaître. Or les études d’Émile Mâle sur l’iconographie de la peinture religieuse après le concile de Trente, qui parurent en 1932 18 , ne purent nuancer cette vision, parce qu’elles sous-entendaient que les Lumières étaient un prolon- gement du XVII e siècle, sans caractère propre. Émile Mâle avait fait du schisme de la Réforme le pivot de son analyse des thèmes de la peinture catholique : le XVIII e siècle ne se définissant pour lui plus seulement par l’opposition entre protestantisme et catholicisme (et dans une moindre mesure par celle entre « baroque » et « classi- cisme »), il ne pouvait être un sujet d’étude iconographique religieuse à part entière. Vue à la suite d’Émile Mâle (et souvent en outrant sa démonstration 19 ) comme une résurgence du Grand Siècle ou une survivance anachronique, la peinture religieuse des Lumières ne bénéficia donc pas de la méthode iconographique, qui aurait pu lui redonner vie après la Seconde Guerre mondiale et surtout la replacer dans une histoire générale de l’Église, de ses dogmes et des textes liturgiques ou théologiques 20 . 22 ~ Introduction

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