Extrait Les Puys d'Amiens

UNE CONFRÉR I E MAR I AL E AMI E DE S L ETTRE S ET DE S ART S 34 Bien avant celle d’Amiens, une confrérie, connue sous le nom de Notre-Dame du Puy- d’Amour, avait été fondée en 1230 à Abbeville par le mayeur Thomas le Ver. Attestée en 1498, l’existence d’une seconde confrérie, dite du Puy de la Conception Notre-Dame, pourrait en réalité correspondre à un simple changement de nom de la première qui aurait pris un tour plus religieux, peut-être sous l’influence de la confrérie amiénoise Notre-Dame du Puy, nom sous lequel elle est aujourd’hui communément désignée. Selon l’usage, chacun de ses bâtonniers lui faisait un don qui pouvait notamment prendre la forme d’une œuvre d’art (tableaux, sculptures, orfèvrerie, fixé-peint), comme en témoigne cette Vierge en argent. Plus exactement, l’œuvre est le fruit de trois dons successifs, réalisés à plus d’un demi-siècle d’écart, par trois maîtres différents. La statuette en tant que telle fut offerte par Jehan Gaillard qui avait été élu le 8 décembre 1568. Elle illustre le palinod (refrain) suivant donné par le bâtonnier lui-même : « Rose gaillarde sans épine trouvée. » À compter du milieu du XVI e siècle, à Abbeville comme à Amiens, les bâtonniers faisaient en effet des allusions à leur patronyme ou leur fonction sociale dans leur palinod. Orné des armoiries de son donateur, le petit puits à margelle date, quant à lui, de 1576, année du mandat de Philippe le Bel. Un autre jeu de mot est convoqué : au lieu du « puy », c’est-à-dire le podium sur lequel le poète montait pour déclamer ses vers, c’est un puits à eau qui est représenté. Cinquante ans plus tard, cette homonymie sera exploitée par Nicolas Blasset pour plusieurs œuvres de la cathédrale d’Amiens. Enfin, la couronne et le socle, orné des armes du donateur et de deux médaillons contenant une Annonciation et une Assomption, furent offerts en 1624 par Jehan L’Éperon. Ici, c’est bien le « puy » en tant qu’estrade qui est évidemment convoqué pour surélever la figure de la Vierge, honorée tant par la création artistique que la rhétorique. Seule l’identité du troisième maître orfèvre, Jehan de Poilly, est connue grâce à son poinçon. À Abbeville, les dons d’œuvres d’art ont cependant été moins fréquents qu’à Amiens et les vestiges en sont aussi moins nombreux. Si au début du XVII e siècle, les dons se généralisent en sommes d’argent ou en ornements liturgiques, le caractère artistique disparaît totalement à partir de 1650. La confrérie du Puy d’Abbeville avait sa chapelle dans la collégiale Saint-Vulfran. En 1726, suivant le mauvais exemple de leurs confrères amiénois, les chanoines décidèrent de vider la collégiale des Puys de la confrérie qui subsiste en fonctionnant au ralenti jusqu’en 1789, date de sa dissolution. Cette Vierge en argent permet également d’évoquer le souvenir d’une œuvre commandée par la confrérie amiénoise et malheureusement disparue aujourd’hui. Une image d’argent avait été offerte en 1503 par vingt-huit confrères. Leurs noms étaient gravés et leurs armes, rehaussées d’émail coloré, figurées sur le piédestal de la statue 1 . Auguste Breuil décrit cette sculpture comme ornée d’un puits, d’un seau et d’une couronne 2 . La Vierge tenait dans ses bras le Christ enfant qui portait au cou un collier d’or émaillé et tenait dans la main une pomme d’argent doré. L’œuvre était posée sur l’autel de la confrérie le jour de sa fête et portée en procession. Les comptes de l’institution nous conservent précisément son coût et ses auteurs ainsi que le moyen de son financement dont la charge fut confiée à Jean Dardre, maître en 1493 et prévôt de la confrérie 3 . On sait ainsi qu’Antoine Gauwain reçut 48 sous pour avoir sculpté le modèle en bois de la sculpture et 10 sous pour le patron du piédestal ; Nicolas des Hoteux 4 , orfèvre amiénois, et son frère Regnaut reçurent 9 livres pour la fabrication de la Vierge d’argent en date du 22 juin 1503, 29 livres pour la « fachon et entaillement » au 15 février 1504 et enfin 22 livres, 2 sous et 6 deniers pour solde de leur compte le 3 avril 1504 ; Riquier Haulroye en avait dessiné le piédestal et fut payé pour cela 2 sous. La somme totale déboursée pour cette image d’argent s’éleva à 325 livres, 17 sous et 3 deniers tournois. 4. Statue de la Vierge, dite Notre-Dame du Puy Jehan de Poilly (maître orfèvre, 1611-1667) 1568 (statue), 1576 (puits), 1624 (socle) Argent, argent doré, ciselé, gravé, découpé, estampé, fondu et soudé H. (totale) 68 cm ; H. (statue) 47 cm ; H. (socle) 21 cm ; poids : environ 6 kg Classé au titre des Monuments historiques, le 26 mai 1899 Abbeville, musée Boucher-de-Perthes, inv. D.1975.1.1. Dépôt communal de l’église Saint-Wulfran depuis 1949. 1. Voir PAGÈS, t. II, p. 140 et suiv. 2. BREUIL, 1854, p. 515-516. 3. Archives départementales de la Somme, E. 931. Comptes de 1503-1504. 4. Voir PLOUVIER, 2019, p. 554.

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