Extrait livre François POMPON

14 Antonin Mercier, Camille Claudel ou Sarah Bernhardt. C’est le succès de son Ours blanc qui l’incite enfin à se consacrer à son propre œuvre durant les dix dernières de sa vie, soucieux qu’il est de « rattraper 20 années, le temps perdu à travailler pour les autres 2 ». Dès lors, il est activement exposé par des galeristes parisiens spécialistes de l’Art déco tels Jacques-Émile Ruhlmann, les Bernheim-Jeune et Edgar Brandt, ainsi qu’à Lyon (galerie Saint-Pierre) et à Grenoble (galerie Saint-Louis). Grâce aux Salons et aux galeries, la notoriété du sculpteur s’étend rapidement à l’Europe, aux États-Unis, au Brésil et jusqu’au Japon où Marcel Bernheim lui organise une grande exposition, en 1924. Aujourd’hui encore, Pompon reste très apprécié au pays du Soleil-Levant et le musée Gunma de Tatebayashi peut se targuer de posséder l’une des plus importantes collections au monde de l’artiste puisqu’il conserve depuis 2001 une centaine de sculptures. L’institution propose même une évocation de l’atelier de Pompon, conçue autour de meubles, outils, moules, lettres et autres documents provenant directement de son atelier parisien, rue Campagne-Première 3 . Paradoxalement, son œuvre animalier est en grande partie connu aujourd’hui grâce à la multiplication des fontes posthumes de qualité variable – l’artiste souhaitait pourtant que ses modèles soient détruits pour ne pouvoir être réédités après sa mort – et aux nombreux faux qui circulent sur le marché... Les amateurs ne s’y trompent pas et recherchent les fontes authentiques qui proviennent souvent des descendants des premiers acquéreurs. Des œuvres importantes réapparaissent régulièrement lors des ventes publiques. Mentionnons par exemple la collection des Van Droogenbroeck dispersée en octobre 2018 à l’hôtel des ventes de Monte-Carlo, qui comprenait de rares bronzes, des plâtres d’atelier et un Ours blanc en pierre vendu par Ruhlmann. En 2020 comme en 1922, Pompon étonne par son classicisme moderne. Tailleur de pierre et modeleur habile, l’artiste a su brillamment allier ces deux techniques à une observation directe de l’animal en mouvement (il suit en cela les conseils de Rodin) pour concevoir des œuvres d’une beauté idéale. Il développe une vision de l’animal intemporelle, vraie et vivante. Son style éminemment personnel et sa technique très aboutie lui permettent d’atteindre l’essence de la forme. Pompon se range définitivement parmi les sculpteurs classiques français, aux côtés d’Aristide Maillol, d’Antoine Bourdelle ou de Charles Despiau, tous descendants de Rodin et pratiquant la taille directe. Retravaillant ses œuvres jusqu’à l’obses- sion, il se singularise par les innombrables versions qu’il livre d’un même modèle, le modifiant inlassablement pour apporter des changements subtils afin de simplifier la forme dans l’espace ou de modifier une terrasse. Pour Pompon, le hasard n’existe pas, tout est contrôlé. En revenant sur ses premiers modèles déjà édités en bronze sans base, il réfléchit attentivement au point de vue et à la réflexion de la lumière pour en livrer de nouvelles versions en pierre dotées d’un socle. Édité d’abord en bronze sans base, l’ Ours brun prend ainsi une autre Pompon a accroché la tête en bronze de l’ Ours blanc à la porte de son atelier parisien, rue Campagne-Première, dans le quartier de Montparnasse. 2. François Pompon, cité dans Maximilien Gauthier, «L’ Ours de Pompon», Floréal , n° 47, décembre 1922. 3. En 1934, l’atelier parisien a, dans un premier temps, été reconstitué au Muséum national d’histoire naturelle. Il faut dire que le discret sculpteur n’a laissé que peu de traces à la postérité, hormis les précieuses archives de l’atelier, sciemment occultées par son exécuteur testamentaire René Demeurisse, et en partie connues grâce à la publication de 1994. À défaut d’une autobiographie ou de mémoires, nous disposons de rares lettres, des biographies livrées de son vivant par Robert Rey ou Édouard des Courières et d’articles éparpillés dans les journaux de l’époque. Si le premier métier de Pompon est de tailler la pierre, ce travailleur acharné a longtemps dû mettre son ciseau au service d’autres créateurs. Praticien très recherché, tant pour son habileté technique que pour sa capacité à s’effacer derrière le style des autres, il est ainsi employé par Auguste Rodin, qu’il admire, par René de Saint- Marceaux, auprès duquel il travaille presque vingt ans, et ponctuellement par

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