Extrait

7 Les meubles, les porcelaines, les bronzes, tapisseries, tapis, tissus français du XVIII e siècle nous semblent aujourd’hui avoir toujours été, et sans interruption, au cœur des résidences royales ou aristocratiques, en France même, bien sûr, mais dès l’origine dans tout le monde européen, de Buckingham Palace et des country houses britanniques aux palais de Saint- Pétersbourg, de Stockholm et de Copenhague, comme de Naples, de Parme, de Madrid ou de Lisbonne. Il en va de même des départements des arts décoratifs des grands musées du monde entier, de Londres à Berlin et de New York à Los Angeles, la popularité des period- rooms depuis la seconde moitié du XIX e siècle ayant encore plus renforcé ce phénomène : pour ne prendre qu’un seul exemple, au Metropolitan Museum of Art, qui fut l’un des grands propagateurs de ce type de muséographie, si, comme il est naturel, il existe une importante section de period-rooms américaines, ce sont les period-rooms françaises qui se taillent la part du lion, tant en quantité qu’en qualité, aux dépens de tous les autres pays européens, et même des civilisations extra-européennes. Or, assez paradoxalement, il n’en a pas toujours été ainsi en France même. On aurait pu s’attendre à ce que, au-delà des évolutions naturelles du goût, les productions de cette époque aient été toujours et sans interruption appréciées, recherchées, collectionnées, exposées, à tout le moins conservées, sinon utilisées, à commencer chez ceux qui, par leurs commandes répé- tées et leur statut, furent à l’origine de leurs exemples les plus beaux et les plus représentatifs : les souverains qui se sont succédé sur le trône de France et les membres de leurs familles. Il n’en a rien été. Sous Louis XV, sous Louis XVI, le garde-meuble royal procédait déjà à des ventes de mobilier passé de mode, comme, au milieu du XVIII e siècle, des pièces dues à Boulle qui nous apparaîtraient aujourd’hui insignes. Les ventes révolutionnaires, qui vidèrent de leur mobilier tous les palais, de Versailles à Fontainebleau, de Compiègne à Saint-Cloud, de Marly à Choisy, n’en conservant que les pièces jugées artistiquement les plus significatives, et ce qui pouvait encore servir aux administrations et au gouvernement, s’inscrivent finalement, de ce point de vue, dans une certaine continuité, y ajoutant simplement, par leur systématisme radical, une volonté de rupture qui se voulait sans retour. Le Consulat puis l’Empire, faisant renaître dans leurs fonctions les Tuileries et Saint-Cloud, puis Fontainebleau, et par la suite Compiègne et jusqu’aux Trianons, en envisageant même de revenir à Versailles, auraient pu signifier la reconstitution d’intérieurs tout juste démantelés. Il n’en fut rien : on préféra com- mander du neuf, et de même lorsque les Bourbons réoccupèrent leur trône. Ni Louis XVIII ni Charles X ne cherchèrent à racheter systématiquement ce qu’ils avaient connu avant 1789, chez le roi, la reine ou dans leurs propres appartements privés. Ils se mirent en fait dans les meubles et les pas de Napoléon qui avait remeublé ses résidences au goût du jour, n’hési- tant pas, d’ailleurs, à changer la destination des pièces (il ne coucha ainsi jamais dans les anciennes chambres du roi de ses diverses résidences, réaffectées à d’autres usages). Il fallut attendre le règne de Louis-Philippe, surtout dans ses dernières années, et plus encore celui de Napoléon III pour que le garde-meuble royal ou impérial recherchât davantage ce qu’il avait possédé autrefois et qui avait été aliéné au cours du temps, et qu’on tentât, ici ou là, la reconstitution plus complète d’intérieurs disparus ou démantelés, ou qu’on utilisât plus systématiquement, surtout à des fins d’évocation historique et somme toute d’une certaine PRÉFACE Ci-contre Fig. 76 [détail] Cabinet attribué à André- Charles Boulle, v. 1700.

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