Extrait

5 Héritières, nolens volens , de la Grande Révolution, les monarchies du XIX e siècle étaient des constructions fragiles. Aucune d’entre elles n’atteignit les deux décennies. Les quatre années du Consulat (1799-1804) et les dix années du Premier Empire (1804-1814) furent suivies de cette « comédie de quinze ans » que fut la Restauration (1814-1830), selon le mot de Louis de Bonald. À la monarchie de Juillet (1830-1848) succédèrent la II e République (1848-1852), puis le Second Empire (1852-1870). À trois reprises, en 1830, 1848 et 1870, le trône fut renversé en quelques heures par l’émeute parisienne. Pouvait-il encore y avoir un souverain en France après que se fut affirmé le principe de la souveraineté du peuple ? Conscients de leur fragilité, les nouveaux régimes monarchiques s’entourèrent d’un faste propre à rehausser leur prestige et cherchèrent dans l’Histoire les souvenirs et les références propres à les conforter. Napoléon I er fit appel à un imaginaire tout à la fois néo-antique et néo-carolingien. Louis XVIII et Charles X entendirent « renouer la chaîne des temps que de funestes écarts avaient interrompue » (préambule de la Charte constitutionnelle de 1814) : ils affirmèrent le principe de légitimité et mirent en avant la figure réconciliatrice d’Henri IV. Louis-Philippe se plaça sous l’égide de « toutes les gloires de la France », formule inscrite au fronton du château de Versailles devenu musée, tandis que Napoléon III, tout en recueillant l’héritage de son oncle Napoléon I er , se voulut successeur de tous les régimes précédents, ce que soulignait le « musée des Souverains », constitué au Louvre en 1852. Mathieu Caron montre comment le Garde-meuble – tour à tour impérial, royal et national – s’est fait l’instrument de ces ambitions successives, œuvrant en premier lieu au palais des Tuileries, devenu le palais symbolique de tous les pouvoirs, mais aussi à Saint- Cloud, à Versailles, à Fontainebleau, à Compiègne, à Rambouillet et dans de multiples résidences plus secondaires. À la croisée de l’histoire politique, de l’histoire du goût et de l’histoire des collections, on découvre les origines de la « patrimonialisation » des objets mobiliers et de leur exposition muséale. Louis-Philippe et sa famille bénéficient des premiers ameublements historicistes, mais leur vogue prend toute son ampleur sous l’égide de l’impé- ratrice Eugénie, qui apparaît ici comme un des personnages majeurs de l’histoire du Mobilier. La thèse de doctorat qui est à l’origine de ce livre a été soutenue à Sorbonne Université en 2019 sous la direction du professeur Barthélémy Jobert. Elle confronte avec bon- heur les meubles et les objets d’art conservés au Mobilier national, au musée du Louvre et dans d’autres institutions avec les fonds des Archives nationales et les dossiers des régies des châteaux encore conservés in situ . J’ai souhaité que le Mobilier national soutienne les recherches de cette nature, qui renouvellent l’histoire de notre institution et mettent en valeur les richesses de ses collections. Cet ouvrage est l’un des premiers fruits de cette politique. D’autres suivront très prochainement, qui nous feront redécouvrir le Garde-meuble et les manufactures, depuis leurs lointaines origines médiévales jusqu’aux plus récentes expérimen- tations de la création contemporaine. Hervé L EMOINE Directeur du Mobilier national et des manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie AVANT- PROPOS Ci-contre Fig. 65 [détail] Armoire, André-Charles Boulle, v. 1710.

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