Extrait Clouet, le miroir des dames

9 « Une court sans dames est une court sans court », écrivait Brantôme, chroniqueur de la vie curiale française de la Renaissance. Alors que la Querelle des femmes occupa le XVI e siècle français, la place de celles-ci à la cour s’établit durablement, à la faveur de l’action de certaines d’entre elles. Si les portraits dessinés par Jean Clouet (vers 1475-1485 – 1540-1541) et son fils François Clouet (vers 1515-1572) de l’extraordinaire collection du musée Condé – elle-même issue de celle de la reine Catherine de Médicis – sont désormais bien étudiés 1 , leur approche de la représentation féminine dans un contexte politique et social qui voyait l’affirmation du statut des dames restait à être approfondie. Leurs magnifiques « crayons » constituent, de fait, des témoins de choix pour retracer l’histoire des mutations curiales : ils ont accompagné la promotion des femmes qu’ils ont immortalisées dans toutes leurs grâces et dans tous leurs atours. « L E ROYAUME DE F ÉMYNIE » ET LE « M IROIR DES DAMES » La question de la représentation et du rôle des femmes dans l’art, et notamment celui de la Renaissance, occupe l’histo- riographie depuis quelques décennies seulement. L’article fondateur de Joan Kelly-Gadol, publié pour la première fois en 1977 et intitulé « Did Women Have a Renaissance? 2 », a suscité un renouveau des études. Il mettait en exergue un supposé affaiblissement du pouvoir des femmes appartenant E TRIOMPHE DES DAMES DESSINÉ PAR JEAN ET FRANÇOIS CLOUET aux élites de la Renaissance, comme le montrerait le Livre du Courtisan de Baldassar Castiglione (1528), où la séduction s’adressait désormais au prince et non plus aux dames, réduites au rôle de simples ornements de cour, et dont on exigeait chasteté et modestie. L’historiographie anglo- saxonne, avide de gender studies , s’est emparée du sujet et les travaux se sont multipliés à propos du « royaume de Fémynie » (expression utilisée par Christine de Pisan dans Le Livre de la Cité des Dames 3 ), y compris en France 4 . La question féminine a agité le XVI e siècle. La Querelle des femmes, c’est-à-dire la controverse qui, depuis le début du siècle précédent, passionnait les élites françaises au sujet du rôle des femmes dans la société, avait repris de plus belle, avec des centaines d’écrits et de prises de positions, des plus féministes aux plus misogynes 5 . Le titre de l’exposition qu’accompagne le présent catalogue y fait écho : les « Miroirs des dames » désignaient des œuvres littéraires, la plupart du temps écrites par des hommes, dédiées au bon « gouvernement » des femmes. Ces textes, souvent adressés aux princesses, formaient en quelque sorte les équivalents des portraits, eux aussi dessinés par des hommes. Le Miroir des dames , traduit vers 1530 par Ysambert de Saint-Léger à la demande de Marguerite de Navarre ( FIG . 1), sœur de François I er , partageait la même ambition : il offrait une galerie de portraits des dames à imiter, tout en multipliant les conseils moraux 6 . Or, les portraits exécutés par les Clouet mettaient finalement eux aussi en exergue les qualités des modèles féminins représentés. Détail FIG . 3. Mathieu Deldicque

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