Extrait

35 du réel, la photographie bouleverse l’essence même de la pratique picturale qui constitue jusque-là le seul moyen de capturer la vérité de l’instant. Ainsi, une nouvelle voie s’offre aux artistes peintres dès lors qu’ils veulent s’affranchir de la stricte ressemblance avec le sujet représenté. Certains peintres, à l’instar de Charles Nègre, primés au Salon et sollicités pour des commandes officielles, complètent leurs pratiques picturales par l’exploration de la photographie, ces deux arts se nourrissant réciproquement. Le procédé créatif de certains artistes évolue vers l’utilisation de la photographie du modèle, en remplacement des nombreuses études préparatoires nécessaires à la composition de l’œuvre. C’est ainsi que les premières photographies de Charles Nègre, des scènes de genre, servent d’étude pour ses peintures. L’attrait pour ce procédé prodigieux qui épargne des recherches longues et fastidieuses a toutefois la conséquence malheureuse d’altérer leur maîtrise du dessin. Plus qu’un simple outil au service de la peinture, la photographie, procédé de reproduction mécanique, sera érigée au rang de discipline artistique grâce aux recherches de Charles Nègre et de ses pairs. Ils la composent comme un tableau, soignant à la fois la construction, la lumière, la texture du tirage. Loin de se contenter d’exploiter les possibilités commerciales qu’offre la photographie, ils mettent leur talent et leur regard de peintres au service de la création d’images artistiques. À cela s’ajoute la possibilité d’améliorer les épreuves par la retouche manuelle ou chimique, que maîtrise particulièrement Charles Nègre : variation des tonalités, distribution des ombres et des lumières, se rapprochant ainsi de l’art du dessin. CHARLES NÈGRE, ARTISTE PEINTRE Tout en s’investissant dans ses recherches photogra- phiques, Charles Nègre poursuit sa carrière de peintre et participe régulièrement à l’Exposition annuelle des Beaux- Arts, à Paris, appelée Salon. À l’instar de ses contemporains, ses sujets de prédilection comptent parmi la mythologie, la religion et l’Histoire, le portrait et le paysage. Éclectique, sa peinture connaît diverses influences, parmi lesquelles néoclassicisme et romantisme, dont il tend à s’émanciper par un retour à la nature. Charles Nègre se rendait comme les jeunes peintres de sa génération à Chailly et à Barbizon inspirant certains de ses paysages d’après nature. C’est en 1843 que Charles Nègre y présente son premier tableau, le Portrait de M. Lions , puis en 1845, une scène de genre, Le Voyage à Cythère . La Mort de saint Paul, premier ermite , influencé par le style d’Ingres, est accepté au Salon de 1848. Comme le veut l’enseignement académique qu’il a reçu, Charles Nègre réalise, pour cette œuvre, de nombreuses études préparatoires d’une grande finesse, dont certaines sont conservées au Musée d’Art et d’Histoire de Provence à Grasse. La scène illustre le recueil d’Antoine devant la dépouille de Paul, en présence des deux lions qui l’aident à creuser une sépulture pour le premier de tous les ermites restés dans le désert pendant 99 ans. En 1852, Louis-Napoléon Bonaparte, alors Président, acquiert ce tableau avant de l’offrir à la cathédrale Notre-Dame-du- Puy à Grasse. En 1849, il présente quatre peintures et suscite l’intérêt du plus éminent critique du moment, le poète Théophile Gautier, avec Le Suffrage universel . Refusée au concours organisé par le nouveau gouvernement provisoire de la II e République, dont le sujet visait à créer une allégorie Scène de l’Histoire grecque Charles Nègre Entre 1839 et 1860, Paris Huile sur toile Musée d’Art et d’Histoire de Provence, inv. 95 214 © Musée d’Art et d’Histoire de Provence, Grasse, photo Carlo Barbiero

RkJQdWJsaXNoZXIy MTEzNjkz