Extrait Sport & Vie

hors-série n o 48 5 la résistance physique de l’assistance. En Occident, on passe son temps à se lever et à se rasseoir. Or on ne trouve ni banc ni chaise dans une église ortho- doxe. Et l’office peut durer de deux à trois heures. On l’écoute debout dans une attitude de totale dévotion. Un jour que je me tenais les bras croisés, une voisine m’a fait signe que ma posi- tion n’était pas correcte: des bras croi- sés signifient que l’on se ferme à Dieu. Donc on reste longtemps debout, les mains jointes ou les bras le long du corps. De temps à autre, on se pros- terne. Et pas question d’incliner seu- lement la tête comme les Catholiques devant l’autel au moment de l’eucha- ristie. Ici, on se tient à genoux sur le dallage et à trois reprises, on touche le sol avec son front en se redressant chaque fois entre deux plongeons. Les vieilles femmes semblent les plus entraînées à cette pratique. Cette ferveur est tout de même étonnante lorsqu’on sait à quel point la religion a été combattue par le pouvoir communiste. C’est vrai. Les Soviétiques ont tenté d’éradiquer la foi. Sous Staline, on a transformé les églises en musées de l’athéisme, soutenus par l’Etat et le Parti. Rien n’y fit. Les Russes sont res- tés très croyants. Les fols-en-Christ , ces moines errants qui se baladent toute la journée pour prêcher incroyable qui manque parfois à d’autres cultures. Peut-être est-ce lié à l’immensité de territoire qui ne per- met pas de pensée étriquée. La notion du temps diffère aussi. Tout semble pouvoir s’étirer sans limite. Certains voyageurs occidentaux ont également été bouleversés par la spiritualité du pays, comme Rilke, l’écrivain et poète autrichien parti à 24 ans à la décou- verte de l’empire et de l’âme slave en compagnie de Lou Andreas-Salomé qui avait été l’égérie de Nietzsche. Le hasard voulut qu’il arrivât pour la première fois à Moscou le Jeudi saint. La préparation des rites orthodoxes transformait la ville en un gigantesque temple avec des paysans qui venaient de partout et mêlaient leurs chants et leurs prières au carillonnement des cloches. Pour ce rassemblement de fidèles, Pâques n’était pas une conven- tion sociale. Ils ressentaient le Christ ressuscité comme une réalité vivante. Cette spiritualité est-elle toujours d’actualité? On parle beaucoup d’un «retour àDieu» ces temps-ci. En réalité, les églises ne me semblent ni plus pleines ni plus vides qu’en Occident. Vous êtes croyant, vous-même? Pas du tout. Je suis un mécréant. Mais cela ne m’empêche pas d’admirer les offices religieux russes. J’aime la beauté de leurs chœurs et leurs cou- tumes. Ce qui me frappe aussi, c’est Française, Louise Dupuis, qui avait épousé un décabriste révolté contre le nouveau tsar Nicolas I er . Tout cela est raconté dans le très beau roman intitulé Le Maître d’armes paru en 1840. Après son premier voyage, Dumas s’est lui aussi passionné pour ce pays. Il y est retourné plusieurs fois et a écrit des choses remarquables sur cette fameuse âme russe qui vous intéresse. Peu de personnes savent qu’il fut aussi l’un des premiers, avec Mérimée, à introduire les classiques russes en France, traduisant lui-même trois nou- velles de Pouchkine et faisant impri- mer, dans un ouvrage qu’il dirigeait, la première traduction d’ Un Héros de notre temps , de Lermontov. Aujourd’hui, il semble y avoir un regain de russophilie du côté des nouveaux écrivains français comme Sylvain Tesson ou Cédric Gras, qui parcourent eux aussi la Russie et en reviennent émerveillés. Jene sais pas. Jedirais plutôt que, depuis ladécouvertede laRussieenFrance, l’in- térêt pour ce pays n’a jamais faibli. Sous Napoléon, de nombreux Français sont partis en Russie et, à leur retour, en ont gardé de la fascination. Entre les deux guerres mondiales, l’expérience com- muniste a séduit des écrivains comme Louis Aragon, André Malraux, Romain Rolland, etc. Donc non, je ne dirais pas qu’il y a un regain de russophilie mais plutôt que l’admiration pour ce pays a toujours existé. Comment expliquez-vous cette fasci- nation? Difficile à dire. Il y a tellement de choses admirables en Russie! Pour ma part, cela vient de la lecture de Guerre et Paix , de Léon Tolstoï. J’avais 15 ans. J’ai avalé les deux mille pages en trois jours et trois nuits. Depuis lors, j’admire formidablement ces auteurs. Pas seulement Tolstoï, du reste. Dostoïevski, Gogol, Pouchkine, Nabokov, … J’adore aussi la musique russe, de Tchaïkovski à Chostakovitch, le ballet, l’opéra et le cinéma russes (*). On trouve aussi en Russie un souffle (*) En 1975, Dominique Fernandez a publié un livre retraçant la vie de Sergueï Eisenstein, célèbre cinéaste de la période soviétique et auteur en 1925 du fameux film Le Cuirassé Potemkine . La cathédrale Saint- Sauveur-sur-le-Sang-Versé à Saint-Pétersbourg, la cathédrale au nom le plus long du monde Raspoutine, le fol-en-Christ

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