Extrait Sport & Vie

n o 197 55 Lorsqu’on coupe un pamplemousse en deux, on constate qu’il se compose de chair certes, mais aussi de membranes qui enrobent le fruit et le divisent en quartiers. Cette image aide à mieux se représenter les fascias. ême chose pour le jam- bon. A la découpe, on constate là encore la présence de fines membranes blanches qui opposent d’ailleurs une farouche résistance lorsqu’on tente de les arracher des chairs comestibles. Ces fascias ont notamment pour mission de délimi- ter différentes zones géographiques au sein de la masse musculaire, ce qui permet de mieux ordonner les mises en action. Ils interagissent finement entre eux ainsi que le montrent les images fantastiques tournées par le chirurgien plasticien ean-Claude uimberteau Őlire son interview dans les pages suivanteső. En regardant ces vidéos, on réalise que, contrairement aux muscles qui fonctionnent en parfaite indépendance, chacun dans sa gaine, les fascias communiquent sans cesse entre eux et forment un embryonnaire et que, tous ensemble, ils pèsent environ vingt hilos à l’âge adulte. En raison de cette impor- tance, certains spécialistes consi- dèrent les fascias comme un organe à part entière et leur prêtent une assez grande attention, tandis que d’autres les ignorent souveraine- ment. Ainsi, dans le cadre d’opé- rations délicates, les chirurgiens n’hésitent pas à les sectionner s’ils gênent le passage des instruments, sans se douter qu’un tel geste peut avoir des conséquences négatives comme ce fut le cas pour notre ami, toujours sous le choc de sa résurrection. Cendrillon et le pamplemousse Pendant des siècles, les fascias ont été considérés comme un organe de seconde zone jusqu’à ce que récemment, on leur découvre des vertus insoupçonnées. «Presque un conte de fée» , commente !obert Schleip Ő&niversité d’&lmő en Allemagne. «Les fascias sont comme Cendrillon. Moqués, malaimés, avant d’accéder soudain à plus de reconnais- VanFe VFienWifique } Aujourd’hui, on étudie leur composition et leur rôle exact dans l’organisme et, en guise de présentation, on utilise souvent cette analogie frugale: le pamplemousse. avait probablement contractée en se coupant malencontreusement la main lors d’une de ses ѵƏƏ dissec- tions. Bichat était donc intrigué par l’existence de ces bandes fibreuses et c’est lui qui les a baptisées du nom de fascias, sous lequel on les connaît encore aujourd’hui. Après sa mort, ses travaux restèrent en friche jusqu’à ce que le chirurgien anglais enry ray, leur consacre à son tour quelques pages dans son célèbre cahier Gray’s Anatomy Őà ne pas confondre avec la série téléviséeĴő. Ensuite, d’autres cher- cheurs prendront le relais, ce qui fait qu’on connaît aujourd’hui un certain nombre de choses à leur propos. Par exemple qu’ils se forment au stade PETIT TRAITÉ DE TENSÉGRITÉ Sans les fascias, on serait incapable de tenir debout. Pour comprendre le rôle fondamental de ces tissus conjonctifs dans l’équilibre, on parle de «tenségrité» , un terme qui réunit les qualités de résistance (tension) et d’équilibre (intégrité). On doit ce néologisme à l’architecte américain Richard Buckminster Fuller (1895-1983), spécialiste des ouvrages d’art. La tenségrité permet en effet d’ériger des bâtiments étonnants comme la Géode à Paris (Parc de la Villette) ou le pont Kurilpa à Brisbane (Australie). Dans ces deux exemples, les éléments solides sont reliés par des câbles et tiennent les uns aux autres grâce précisément à leur mise en tension. Dans le corps humain, cela se passe un peu de la même manière. Ainsi le sacrum est attaché au bassin sans qu’il soit nécessaire de recourir à de puis- sants groupes musculaires. Il s’agit plutôt d’un système «flottant» qui repose sur l’existence de nombreux fascias positionnés de façon à se répondre les uns aux autres et à assurer l’équilibre quel que soit le type de contrainte appliquée sur l’articulation. On comprend ainsi que les élé- ments de notre squelette interagissent de façon beaucoup plus subtile qu’on ne l’avait imaginé jusqu’alors. Prenons l’exemple des vertèbres qui constituent notre colonne. Dans une vision de l’anatomie classique, elles reposent les unes sur les autres et l’équilibre de chacune dépend évi- demment de la stabilité de sa voisine du dessous. Lorsqu’on a intégré ce principe de tenségrité, on comprend que les vertèbres ne sont pas seulement «empilées» mais égale- ment «suspendues» les unes aux autres et donc que les sollicitations peuvent être montantes (des pieds jusqu’à la tête) ou descendantes (de la tête jusqu’aux pieds). Bichat a donné son nom aux boules graisseuses que l’on trouve dans les joues des bébés. En plus de leur donner un air mignon, elles aident à stabiliser la bouche de bébé quand il est au sein. Le pont de Brisbane ne tient qu’à un fil.

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